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Il y a de ces choses qui ne nous lassent jamais, celles auxquelles on se raccroche en pensées, tentant de s’en rapprocher par tous les moyens. Pour moi, ce fut la nordicité. Le froid, les vents, la neige, la glace, le paysage dans toutes ses alternances de lumières et de teintes.

nordicité
Silhouette de Qikiqtarjuaq / Crédit : Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille

J’ai toujours été pris·e entre deux eaux, la curiosité me poussant tant vers la créativité que la résolution de problèmes. J’ai tout d’abord réalisé un baccalauréat en arts visuels, mu·e par une volonté de résoudre les questions qui m’habitaient en faisant appel au sensible. En quittant les bancs d’école, fort·e de ma relation particulière avec le froid et la lumière nordique, j’ai réalisé une résidence d’artiste à Upernavik, au Groenland. Peu de temps aura été nécessaire pour me rendre à l’évidence : les sciences naturelles me manquaient. J’ai donc entrepris un baccalauréat en biologie, qui m’a ouvert les portes de la recherche en écologie arctique, seule branche que je convoitais réellement. J’ai poursuivi à la maîtrise en étudiant les refuges anti-prédation dans le paysage, mêlant sélection d’habitats et géomorphologie.

Tout au long de ma formation, j’ai été frappé·e à de multiples reprises par la nécessité de la vulgarisation, par l’impact de la mise en images des sciences comme mode de partage. Certains sujets plutôt arides, devenaient au minimum digestes, et parfois extrêmement captivants. Ce besoin de nommer, de montrer toute la magie des sciences s’est fait sentir dès mes débuts et est toujours bien présent! Je tente de rendre accessible mes observations et connaissances par des « objets d’arts », passant du zine à la présentation réinventée. Si les sciences et la vulgarisation par l’art se côtoient dans ma pratique depuis les débuts, je souhaite à présent les mailler solidement au sein de mon projet doctoral, cherchant en quelque sorte à décloisonner la recherche et à intégrer pleinement le pouvoir des arts, de la recherche sensible en sciences naturelles. Peut-être est-ce le retour d’un naturalisme réinventé?

L'émotion au cœur de la recherche

Parce qu’au fond, étudier le vivant c’est assez particulier. La démarche scientifique nous pousse à émettre des hypothèses et chercher à les confirmer ou les infirmer, à utiliser des méthodes rigoureuses, à regarder les résultats obtenus dans tous les sens possibles, et ce, en s’appuyant sur les travaux de nos pairs. Je remarque, avec le temps, que cette démarche oblitère parfois l’expérience sensible de celui ou celle qui réalise la recherche. Ce qui me marque le plus dans cette démarche, c’est justement la pléthore d’émotions que fait naître l’expérience de la recherche sur le terrain. Je rencontre des gens passionnés et inspirants, je réfléchis à vitesse grand V, je découvre des espèces incroyables aux comportements variés dans des paysages grandioses qui se muent au fil des saisons. J’observe la neige fondante qui fait place à la végétation naissante, l’arrivée des oiseaux, les interactions entre les espèces en milieu naturel. Je foule le paysage et j’absorbe non seulement les données dont j’ai besoin (l’occurrence d’un nid de plongeon catmarin, la présence des lagopèdes alpins ou bien les paramètres physiques des îlots servant de refuges que j’étudie). Je construis aussi une image sensible et globale du monde qui m’entoure, me penchant sur les couleurs d’un œuf d’oiseau le rendant cryptique dans son milieu, ou m’attardant à la variation du débit d’une rivière glaciaire sous le soleil d’été comme la pulsation d’un cœur autour duquel la vie foisonne. Andreï Makine l’a dit ainsi : l’essentiel est indicible, incommunicable. Et tout ce qui, dans ce monde, me torture par sa beauté muette, tout ce qui se passe de la parole me parait essentiel. L’indicible est essentiel

Parce qu’au fond, étudier le vivant c’est assez particulier. [...] Ce qui me marque le plus dans [la démarche scientifique], c’est justement la pléthore d’émotions que fait naître l’expérience de la recherche sur le terrain.

Un autre aspect de la recherche me fascine tout autant. C’est l’expérience commune de la recherche, alors que des individus se rassemblent pour étudier des sujets bien précis dans des environnements parfois rudes, migrant sur de longues distances à la manière des Grandes oies des neiges. Dans ces groupes éphémères nait souvent une chimie particulière, où le quotidien se bâtit autour de tâches redondantes, parfois complexes, d’anecdotes personnelles entremêlées de réflexions existentielles et de questionnements sur les problématiques scientifiques justifiant la présence de chacun·e! C’est entre autres ce qui m’a amené à proposer un projet d’archivage par le dessin de l’expérience de la recherche à bord de l’Amundsen, un projet que je chérissais depuis longtemps. Depuis sa conversion en bateau de recherche, en 2003, ce brise-glace canadien parcourt les mers du Nord en mode expédition et porte sur ses ponts des groupes de scientifiques motivés qui s’attèlent à des tâches d’échantillonnage variées. Ces tâches se déclinent tant par la récolte de sédiments marins, de planctons et de poissons, que par la cartographie des fonds et l’impressionnante récolte d’eau à différentes profondeurs pour établir des patrons physico-chimiques de l’eau à travers le temps.

embarquement
Rencontre scientifique avant le déploiement de la Rosette / Crédit : Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille

Esquisser le réel

Curieux·se de ce qui se passait à bord, je voulais être activement présent·e dans l’espace de travail, de repos, de transition pour faire ressortir par le dessin l’énergie, l’intangible qui se dégage de telles expéditions, où le quotidien rencontre les filets, les sédiments, les réflexions, les aléas et les surprises. J’ai cherché à mettre en lumière le microcosme de l’Amundsen. Je me suis rendu compte, assez rapidement, que j’étais un être très terrestre, et, accablé·e par mon absence de pied marin, ma volonté créatrice a été mise à mal! J’ai tout de même réussi, à travers les moments de mer calme, à assister aux diverses activités d’échantillonnage durant les 28 jours en mer, afin de rassembler mes impressions sur le déroulement de l’expédition.

De là est né, par l’accumulation d’observations journalières, un cahier à colorier (AmundsenScience Leg 2 – 28 jours à bord (2023)). Un jour sur deux, je laissais un dessin loufoque à colorier sur la table du salon, montrant un labo, une activité ou une anecdote. L’objet final, contenant 15 croquis, rend donc compte de l’ambiance sur le brise-glace, sans s’attarder aux spécificités scientifiques, et donne une idée de la vie à bord des scientifiques et de l’équipage. Il a été remis à toute l’équipe, en version imprimable, pour être ensuite partagé à la famille et aux ami·es, comme objet de vulgarisation et de valorisation des expériences de recherche, pour démystifier et traduire ce qui se passe à bord! Le cahier est désormais disponible en cliquant sur ce lien, pour impression et coloriage.

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Extrait du cahier à colorier Amundsen Science Leg 2 - 28 jours à bord / Crédit : Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille

Ce livre s’ajoute à divers objets de vulgarisation que je réalise à temps perdu depuis 2018, inspirés de mon cheminement en tant qu’écologiste. C’est le cas de Branta canadensis (2018), livre multidisciplinaire sur le suivi de nidification des Bernaches sur les Iles de Varennes, du Petit atlas à colorier des nids pourris et moins pourris de l’île Bylot (2019) qui s’attarde à la nidification des oiseaux à l’île Bylot au Nunavut où j’ai réalisé ma maîtrise, en plus des deux bandes-dessinées Cervelles d’oiseaux? Face à la menace d’un prédateur rusé, des volatiles se montrent bien futés! (2021) qui a été proposée dans le cadre du Concours de vulgarisation de la recherche de l’Acfas et Une capture à l’île aux Oies (2021) résumant le processus de capture des Oies des neiges au Québec. J’aime aussi présenter ce mariage entre les sciences naturelles, la vie et les arts par des présentations farfelues, parlant de mes travaux mais surtout de mes expériences personnelles en assemblant dessins et anecdotes sur scène, dans des colloques, des soirées de discussion ou des conférences.

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Expériences d'un séjour de recherche en mer... à colorier! / Crédit : Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille

LAPSUS, une suite logique

Cette démarche pas toujours linéaire, à cheval entre les arts et les sciences, m’a finalement amené·e à créer LAPSUS, projet de facilitation visuelle et d’illustration scientifique. C’est maintenant sous ce nom que je réalise des illustrations, logos, schémas et graphiques pour différentes publications et projets de nature scientifique, toujours dans une optique de vulgarisation et de partage. Ce projet me permet de nourrir mon insatiable curiosité, mais surtout de parfaire mes capacités de synthèse dans le but de véhiculer clairement des propos scientifiques parfois complexes; des facultés en développement qui seront mises à profit durant mon doctorat, encore dans ses balbutiements!

On dit souvent que les images valent mille mots. Je crois que l’illustration est un médium incroyable pour véhiculer non seulement les résultats de recherche, mais aussi valoriser l’expérience même de la recherche. Elle a le potentiel d’abattre des barrières de langue, de discours, en s’appuyant sur l’expérience sensible, afin de créer, à mon sens, des sciences plus complètes.

Je crois que l’illustration est un médium incroyable pour véhiculer non seulement les résultats de recherche, mais aussi valoriser l’expérience même de la recherche. Elle a le potentiel d’abattre des barrières de langue, de discours, en s’appuyant sur l’expérience sensible, afin de créer, à mon sens, des sciences plus complètes.


  • Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille
    Université Laval

    Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille est une personne native de Montréal [Tiohtià :ke], issu·e d’une famille de quatre enfants aux personnalités bien distinctes. C’est à la garderie Villeneuve que furent couchés sur papier ses premiers dessins, incontestables chefs-d’œuvre encore en démonstration dans la maison familiale. Près de 25 ans plus tard, formation d’artiste et de biologiste en poches, ielle entame un doctorat en biologie à l’Université Laval qui abordera la problématique de la contamination environnementale par la combustion des déchets dans les communautés nordiques. Le projet sera centré autour du Grand corbeau, consommateur opportuniste visitant les décharges, et donc vecteur sensible de la problématique.

    Si l’envie vous dit de regarder ce qui se passe avec le projet Lapsus, vous pouvez la suivre sur la plateforme Instagram (@lapsus_visuel) ou encore sur son site web pour accéder à de la documentation sur ses projets artistiques et scientifiques antérieurs.

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