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[Article publié initialement en avril 2018] Le projet Femmes, science et Acfas émerge de la consultation des archives de l'Association, et tout particulièrement des programmes du congrès et des Annales. Le projet rassemble quatre articles, fruits de la collaboration entre une rédactrice, Laureline Lefèvre Raynaud, et quatre illustratrices :

Marcelle par Cathon

Marcelle Gauvreau voit le jour le 28 février 1907 à Rimouski. Deux ans après, départ vers Montréal où son père, le docteur Joseph Gauvreau, accepte le poste de registraire au Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec. Sa femme et ses dix enfants migrent avec lui.

La jeune Marcelle étudie en lettres et sciences au pensionnat Mont Sainte-Marie1. En 1924, lors de sa dernière année, elle est frappée par la tuberculose. Sa santé fragile vient alors contrecarrer sa volonté d’entrer dans les ordres. Ses quatre années de repos, soit à Montréal, soit dans la maison d’été familiale (à Rivière-Beaudette, dans le comté de Soulanges), lui donnent la force et la motivation de reprendre ses études. En 1929, elle s’inscrit à l’Université de Montréal en lettres et philosophie, mais son goût pour la nature la mènera sur un tout autre terrain.

Marcelle Gauvreau
Marcelle Gauvreau, directrice de l'École de l'Éveil, 1941. Source : Archives du jardin botanique de Montréal.

À l’été 1930, Louis Dupire, journaliste du Devoir, et son ami Oscar Dufresne, homme d’affaires et conseiller municipal de la Cité de Maisonneuve, contactent le naturaliste Marie-Victorin pour organiser un concours de botanique à destination des jeunes du secondaire. Chaque participant doit présenter, à la fin de l’été, un herbier annoté d’une centaine de plantes. Le père de Marcelle, ami du frère Marie-Victorin, contribue financièrement au lancement du concours, et encourage sa fille à participer. Deux herbiers retiennent particulièrement l’attention des jurys : celui de Diane Dubois et celui de Marcelle Gauvreau. N’étant plus élèves, elles sont « déclarées hors-concours mais le jury leur décerne ses plus chaleureuses félicitations »2.

Marie-Victorin, impressionné par la qualité du travail de Marcelle, lui propose de joindre l’Institut botanique de Montréal. Elle hésite face aux difficultés physiques qui l’attendent (travail de laboratoire, longues excursions), mais accepte finalement la proposition. Elle passe ainsi en 1930 de la Faculté de philosophie à la Faculté des sciences et obtient dès 1932 deux licences, en botanique générale et en botanique systématique. Elle débute ensuite un mémoire de maîtrise, sous la direction de son ami et professeur Jules Brunel, intitulé Les algues marines du Québec.

Cette décision de rejoindre l’Institut botanique lance sa carrière : encouragée par Marie-Victorin, son mentor, son ami, son confident et son collaborateur, et marchant dans ses traces, elle écrit, dessine, compose des herbiers et se passionne pour la botanique, mais également pour l’enseignement, la pédagogie, les sciences naturelles et l’astronomie.

Une chercheuse efficace

S’intéressant de très près aux algues, elle décide d’en faire son principal sujet de recherche. Débuté en 1933, elle termine son mémoire de maîtrise six ans plus tard, ayant réalisé un impressionnant travail sur la flore aquatique du Québec, n’hésitant pas à voyager et à échanger avec des spécialistes du domaine. Elle entretient, entre autres, une correspondance avec William Randoph Taylor, lui-même spécialiste des algues en Amérique. Elle se rend en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine, au Saguenay et en Minganie pour récolter des échantillons et étudier sur place la végétation marine.

Elle présente une communication aux onze premiers congrès de l’ACFAS, de 1933 à 1944, jusqu’à la mort de Marie-Victorin. Elle contribue aussi aux travaux du frère, mettant de côté ses études pour rédiger l’index et le glossaire de la Flore Laurentienne et s’occuper de la révision de l’ouvrage.

« Mlle Marcelle Gauvreau, bibliothécaire de l’Institut Botanique, a collaboré activement aux recherches bibliographiques, à la correction des épreuves et à la préparation du glossaire et des index. » (Préface de la Flore Laurentienne, Frère Marie-Victorin)

Elle réalise une bibliographie de ses écrits qu’elle présente au 12e Congrès de l’ACFAS, et, à la mort de son ami, une brève biographie, commanditée par l’association. Plus tard, en 1956, à la suite des pressions des étudiants et des professeurs de l’Université de Montréal, les Presses de l’Institut botanique de Montréal publient le mémoire de Marcelle Gauvreau; ce seul ouvrage à faire état de la quasi-totalité des algues du pays était extrêmement précieux pour les scientifiques de l’époque.

Une vulgarisatrice passionnée

Marcelle Gauvreau rédige durant huit ans la chronique mensuelle des Jeunes naturalistes dans l’Oiseau bleu, la revue des Cercles des jeunes naturalistes. Et chaque semaine, de 1938 à 1954, elle écrit un article traitant de botanique pour Le Devoir. Elle publie deux livres de vulgarisation scientifique pour les plus jeunes : Plantes curieuses de mon pays, paraît en 1943 préfacé par Marie-Victorin3 et, beaucoup plus tard Plantes vagabondes (1957). Elle est aussi à l’antenne de Radio-Canada. En tant que conférencière ou chroniqueuse, elle y encourage l’observation de la nature. Elle participe dès les débuts à Radio-Collège, programme éducatif de la radio d’État : on la retrouve dans La Cité des plantes, capsule animée par Marie-Victorin et Jules Brunel, sous le pseudonyme de « la Fée des fleurs ». Elle est aussi invitée comme conférencière dans différentes émissions : Réveil rural, Femina, Les merveilles de la nature.

Plantes curieuses - la dicentre à capuchon
Plantes curieuses, 1960. Réédition de Plantes curieuses de mon pays (1943). Textes de Marcelle Gauvreau, illustrations de Claire G. Vallerand.

Une enseignante enthousiaste

En 1935, elle ouvre une « école » un peu particulière ayant pour vocation d’initier les enfants de 4 à 7 ans aux sciences naturelles et à l’observation de la nature. Dans un salon de l’Hôtel Pennsylvania, sur la rue Saint-Denis (après quelques années, l’École déménage à l’Institut botanique), une heure par semaine on y fait de multiples activités : fabrication d’herbiers, promenades, apprentissage et reconnaissance de la faune, de la flore et des minéraux. Marie-Victorin encourage vivement Marcelle à créer ce projet dont il proposera le nom d’École de l’Éveil et formulera la devise. Devant l’intérêt des parents, elle anime rapidement deux, puis trois classes par semaine. Trente ans plus tard, Marcelle dispense toujours ces cours, d’autant plus que cinq autres succursales de l’Éveil ont vu le jour dans différents quartiers de la ville (Ville d'Anjou, Duvernay, Rivière-des-Prairies, Rosemont et Saint-Léonard).

Une administratrice engagée

MPhoto recolorisée de Marcelle Gauvreau durant une séance de terrainarcelle Gauvreau s’engage dès le début de sa carrière scientifique au sein de nombreuses associations, n’hésitant pas à donner temps et énergie. Étudiante à l’Institut botanique de Montréal, elle y devient la première bibliothécaire. Avec sa soif d’apprendre et sa curiosité naturelle, elle s’inscrit en parallèle à l’Université McGill pour suivre un cursus en bibliothéconomie, qu’elle valide en 1934. Par la suite, elle occupe le poste de responsable du Service éducationnel du Jardin botanique de Montréal. Elle dirige le secrétariat des Cercles des jeunes naturalistes et de la Société canadienne d’histoire naturelle pendant près de vingt ans et siège au conseil d’administration de la Société de pédagogie de Montréal (1941-1944). En 1948, elle fait partie des membres fondateurs de l’Association des écrivains pour la jeunesse, réunis autour de l’écrivaine Béatrice Clément. Passionnée d’astronomie, elle suit, à l’été 1950, les cours donnés par le frère Robert (frère des écoles chrétiennes et vulgarisateur reconnu), et elle est, dans les années qui suivent, « membre directeur » puis présidente du chapitre de Montréal de la Société royale d’astronomie du Canada.

Une amie et une confidente

Dès 1930, Marcelle Gauvreau et le frère Marie-Victorin commencent un échange épistolaire. S’entretenant sur de nombreux sujets, principalement la science et la botanique, ils se découvrent rapidement des points communs. De plus, leur santé fragile les a tous les deux obligés à s’octroyer de longs temps de repos et de méditation. Marcelle, qui n’a pu rentrer dans les ordres pour des raisons de santé, trouve dans ces conversations un lien avec un monde qui lui reste inaccessible. Marie-Victorin, quant à lui, est heureux d’avoir une confidente si attentive et aussi passionnée que lui. Ces échanges n’ont pas de thématique précise, et les deux chercheurs n’hésitent pas à aborder tous les sujets, même les plus controversés pour l’époque, comme la sexualité humaine. Ils questionnent par écrit le corps et l’anatomie, les désirs et les plaisirs humains. Les lettres de Marcelle Gauvreau se trouvent dans le fonds d’archives de l’UQAM, tandis que celles de Marie-Victorin sont compilées dans un recueil, Lettres biologiques, assemblées et commentées par l’historien Yves Gingras.

Marcelle, une femme exemplaire, une scientifique accomplie

Passionnante et passionnée, Marcelle Gauvreau termine sa vie le 16 décembre 1968. Loin de la ralentir, sa maladie lui donne l’occasion de se lancer en science et de rencontrer puis de se lier d’amitié avec les grands scientifiques d’ici. Un mois avant son décès, elle préfaçait l’ouvrage du frère Gilles Beaudet des écoles chrétiennes, Confidence et combat, contenant les lettres échangées entre Marie-Victorin et sa sœur, mère Marie-des-Anges, que Marcelle Gauvreau a aussi bien connu lors de ses visites à Sillery.

Si pendant longtemps Marcelle Gauveau a été considérée comme la collaboratrice et assistante de Marie-Victorin, il est temps pour l’histoire de reconnaître son apport à la botanique, à la pédagogie et à la vulgarisation.

Elle laisse derrière elle le premier ouvrage de classification des algues du Québec, des centaines d’articles et de communications en botanique et en astronomie, une correspondance fournie et plusieurs générations d’enfants influencés par les enseignements de cette grande dame, ses livres ou sa voix à la radio, par ses préceptes et ses leçons sur la beauté de la nature et de ce qui nous entoure. Car comme le dit la devise de l’École de l’Éveil, Marcelle Gauvreau était là pour nous apprendre « pourquoi toutes ces choses sont belles ».

Marcelle dans son bureau de l'Institu botanique
Marcelle Gauvreau dans les locaux de l’Institut botanique, 1939. Source :Archives de l'Université de Montréal.

Chronologie :

  • 1907 : 28 février, naissance à Rimouski
  • 1909 : Déménagement à Montréal
  • 1917 : Poliomyélite. Son père fait l'achat de la maison d’été
  • 1920-1924 : Formation Arts et Sciences au couvent Mont-Saint-Marie
  • 1924 : Crise de tuberculose
  • 1924-1929 : Repos forcé et convalescence
  • 1929 : Lettres et philosophie à l’Université de Montréal, elle abandonne
  • 1930 : Concours dans Le Devoir d’herbiers pour les élèves du secondaire
  • 1931 : Étudiante à l’Institut botanique de Montréal et à l'Université McGill et première bibliothécaire, membre active de la Société canadienne d'histoire naturelle
  • 1932 : Certificat de botanique générale et botanique systématique
  • 1932-1940 : Chronique mensuelle des CJN dans L’Oiseau bleu
  • 1933 : Licence en sciences naturelles, rédaction du glossaire de la Flore Laurentienne
  • 1933-1954 : Direction du secrétariat des CJN et de la Société canadienne d'histoire naturelle
  • 1934 : Diplômée de bibliothéconomie à l'Université McGill
  • 1935 : Fondation de l’École de l’Éveil
  • 1938-1954 : Chronique hebdomadaire de botanique du Devoir
  • 1939 : Diplôme de 2e cycle en sciences naturelles
  • 1941-1954 : Membre du CA de la Société de pédagogie de Montréal et membre active de la Société royale d’astronomie du Canada
  • 1941- : Participation active aux émissions de Radio-Canada
  • 1948 : Membre fondatrice de l’Association des écrivains pour la jeunesse
  • 1950 : Études en astronomie
  • 1952 : Membre directrice de la Société royale d’astronomie du Canada
  • 1954 : Présidence de la Société royale d’astronomie du Canada
  • 1956 : Publication de son mémoire Les algues du Saint-Laurent, présidence de la Société canadienne d'histoire naturelle
  • 1957 et 1966 : ouverture de 3, puis 2 nouvelles écoles de l’Éveil
  • 1968 : 16 décembre, décès

 


  • Laureline Lefèvre Raynaud
    Acfas

    Laureline Lefèvre Raynaud possède une formation en études classiques. Elle est présentement volontaire en service civique au Québec, et elle réalise un mandat d'adjointe aux projets au sein de l'Acfas.

     

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