Un des défis, et pas des moindres, pour les deux intervenants : constituer une base de données, à partir des descriptions qualitatives tirées des archives historiques, qui pourra appuyer la mesure prédictive recherchée par les assureurs.
- 84e Congrès de l'Acfas - 2016
- Colloque 35 - Les sciences sociales et humaines au cœur de l’innovation
- Communication : Histoire et réassurance du risque littoral
Emmanuel Garnier scrute les archives des anciennes colonies françaises. Tempêtes et cyclones du passé, de la mer des Antilles aux côtes de la Réunion, sont dans sa mire. Thierry Cohignac s’intéresse aux tempêtes et cyclones à venir, et il est à la recherche d’un minimum de prédictibilité. Mais tous deux se demandent si et comment les changements climatiques accentueront les catastrophes naturelles, en force et en fréquence.
Emmanuel Garnier est historien, directeur de recherche au CNRS, et il est affilié à l’UMR LIENSs (LIttoral ENvironnement et Sociétés) de l’Université La Rochelle. Thierry Cohignac, opère dans le champ des assurances comme directeur au département Études techniques de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), et il enseigne à l’Université Paris Dauphine.
Prévoir dans l’incertitude
Prévoir les conséquences des changements climatiques n’est pas une mince affaire. Et les climatologues qui sont les premiers à s’y confronter pourront vous dire comment il est difficile de dire le quand et le comment avec précision. Car, de fait, le climat est un système complexe et dynamique composé de plusieurs sous-systèmes, eux-mêmes complexes, en interaction continuelle : les océans, l’atmosphère, les activités humaines, les forêts, les calottes glaciaires, etc.
Emmanuel Garnier et Thierry Cohignac conjuguent donc leurs expertises. Ils travaillent sur le risque littoral aux fins d’améliorer les connaissances des catastrophes naturelles et ainsi mieux évaluer les vulnérabilités côtières de la France d’outre-mer. Du côté des assurances et des autorités publiques, il est important de caractériser les cataclysmes, de prévoir, de quantifier et d’estimer les coûts associés.
Une des pistes consiste à analyser les catastrophes du passé, et de les comparer avec les plus récentes. En analysant la fréquence et l’intensité des tempêtes dans une perspective historique, on peut y observer des dynamiques d’évolution donnant des indices sur le comportement du système actuel.
Dépoussiérer les manuscrits
Interpréter les évènements extrêmes du passé est un véritable défi qui relève d’un méticuleux travail d’historien. « Nous avons trouvé beaucoup d’informations, par exemple, dans les archives provenant des compagnies maritimes des Indes fondées sur la traite des noirs. On y relève deux types d’observations concernant les cyclones : celles des capitaines de bateaux, qui exportaient des produits des plantations coloniales et importaient de la main d’œuvre (les esclaves…), et les témoignages des propriétaires de plantations décrivant les dommages causés par les cyclones ». Les coupures de presse sont également précieuses.
À l’aide de ces documents, le chercheur a cumulé des données remontant au début du 17e siècle, moment de l’arrivée des Européens dans ces territoires. Puis, il a fallu décrypter les écrits, interpréter le vieux français et le vieil anglais, comparer les témoignages avant de reconstituer les catastrophes avec précision. C’est ce qu’on pourrait décrire comme un travail artisanal.
Mettre des chiffres sur les mots
La CCR, un réassureur (la réassurance étant l’assurance des assurances), permet notamment d’indemniser les assureurs en cas de catastrophes naturelles. Appartenant à l’État français, celle-ci évalue les risques et anticipe les coûts financiers en cas d’inondations, de cyclones, et de tempêtes de toutes sortes. Pour cela, l’assureur travaille à partir de modélisations des catastrophes et des risques.
Un des défis, et pas des moindres, pour les deux intervenants : constituer une base de données à partir des descriptions qualitatives tirées des archives historiques, qui pourra appuyer la mesure prédictive recherchée par les assureurs.
« C’est à partir de 1850 seulement que l’on dispose de données instrumentales et météorologiques. Avant cette date, on a surtout des archives textuelles sous forme de témoignages », rapporte Emmanuel Garnier. C’était la partie la plus « rugueuse » du dialogue avec le réassureur, selon les termes de l’historien, car c’est bien connu, les assurances ont besoin de chiffres, de données, de sommes quantifiables. Confronter les sciences humaines aux besoins des assurances, c’est tout un défi.
"Maintenant on se demande comment les autres assureurs font pour se passer d’historiens", conclut Thierry Cohignac.
- Lou Sauvajon
Journaliste
Nominée aux Grands Prix du Journalisme Indépendant pour la catégorie de la relève, Lou Sauvajon est une jeune journaliste scientifique fascinée par la biologie, l’agriculture et l’éthique des sciences. Elle affectionne tout particulièrement la radio et les podcasts audio. À titre bénévole, elle a rejoint l’équipe de l’émission « L’œuf ou la poule? » et participe également à la création de podcasts scientifiques pour Québec Science.
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