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D’une part, tout le monde en fait usage, tous les jours; d’autre part, tout le monde conteste le chiffre, et ce au nom de divers motifs : scientifiques, politiques, sociaux, culturels et, très souvent, idéologiques.

  Benoît Godin :

Nous sommes habitués à associer chiffre et recherche à ce qu’il est convenu d’appeler la bibliométrie. Pour ce dossier thématique du Magazine de l'Acfas, nous avons fait le pari d’y jeter un regard plus englobant en faisant appel, entre autres, à la sociologie, l’histoire, la philosophie ou le management.

Comme le lecteur le constatera, le chiffre est partout, dans nos activités de chercheurs d’abord, mais également dans nos activités de tous les jours. Toutefois, et en même temps, le chiffre a un rôle ambivalent. D’une part, tout le monde en fait usage; d’autre part, tout le monde conteste le chiffre, et ce au nom de divers motifs : scientifiques, politiques, sociaux, culturels et, très souvent, idéologiques.

J’invite le lecteur à faire une lecture contextuelle du présent numéro. Pourquoi le chiffre est-il tant démonisé aujourd’hui? Il dispose pourtant de plusieurs avantages indéniables, que peu d’entre nous lui contesteront. Il sert l’enquête, l’argumentation, la démonstration, la « preuve », la décision aussi. C’est peut-être que le chiffre est devenu total. Il remplace trop souvent la réflexion. Ce n’est pas le chiffre qui fait problème, mais son hégémonie, ou plutôt son usage indiscriminé, non critique et non réflexif. C’est l’usage qu’il faut interroger. Le chiffre en soi ne chiffre pas.

Le chiffre a une histoire (plus que millénaire), et il façonne en même temps l’histoire des concepts et des discours. Les discours des théoriciens bien sûr (les théories), mais aussi les discours ou les écrits sur le chiffre, tels que ceux présentés ici. Que ce soit pour le bien ou pour le mal, de façon positive ou négative, il n’en demeure pas moins que le chiffre est là pour rester avec nous encore longtemps. Nous avons seulement, et encore, à apprendre à en faire bon usage.

[À lire dans le présent dossier, ces deux articles de Benoit Godin : La marginalisation de la recherche et Culturomics, du big data pour les sciences humaines.]

Ce n’est pas le chiffre qui fait problème, mais son hégémonie, ou plutôt son usage indiscriminé, non critique et non réflexif.

 

Emmanuelle Avon :

Une lecture historique et sociologique transcende globalement les textes du dossier. On y lit, entre autres, sur les chiffres qui ont permis de cibler des objets particuliers de recherche au risque d’instrumentaliser les chercheurs au service d’une production économique. Pourtant, à l’évidence, l’effervescence de la recherche et de la liberté intellectuelle des chercheurs est toujours bien là.

Une logique économique marchande aussi est identifiée, là où la recherche serait devenue une sorte d’objet de transaction; les chercheurs, des travailleurs; et la société civile, un bénéficiaire. Mais, la recherche en elle-même obtient sa meilleure portée que dans sa capacité à comprendre, ou à intervenir sur le réel. La recherche fondamentale existe encore, et elle n’est pas une marchandise proprement dite. En évoquant les  conséquences positives et pathogènes de la maximisation de la production de la recherche sur les chercheurs, on y constate aussi le développement croissant de la recherche, de la connaissance et de l’innovation.

Certaines analyses vont jusqu’à affirmer que l’appareil de gouvernance peut être mis au service d’une élite économique et politique. Mais est-ce vraiment ou totalement le cas? Que dire de l’ampleur de la liberté académique des chercheurs, que dire de leur pouvoir d’alliance, de partenariat et de contrôle sur leurs brevets, leurs découvertes et leur propriété intellectuelle.

Le dossier explore aussi comment la recherche est marginalisée par rapport à l’innovation. Mais, est-ce un problème en soi? Rien ne révèle que ces activités d’innovation peuvent nuire à la recherche elle-même. Au contraire, tout ce processus d’innovation génère aussi de la recherche et du développement de connaissances. Bref, le dossier permet de faire une sorte de bilan nuancé, tacitement et explicitement, rendant compte de la complexité du milieu de la recherche sous l’angle du « chiffre ».

[À lire dans le présent dossier, cet article d'Emmanuelle Avon, La recherche sous le Nouveau management public.]

Bref, le dossier permet de faire une sorte de bilan nuancé, tacitement et explicitement, rendant compte de la complexité du milieu de la recherche sous l’angle du "chiffre".

 


  • Emmanuelle Avon et Benoit Godin
    UQO et INRS UCS

    Emmanuelle Avon est professeure en sciences administratives à l’Université du Québec en Outaouais et chercheure associée au Centre humanismes, gestions et mondialisation. Ses recherches fondamentales portent sur la phénoménologie existentielle et l’épistémologie critique des théories des organisations et du changement organisationnel. Ses recherches appliquées portent sur les fondements du management et des pratiques managériales, de la gestion du changement et de la gouvernance des systèmes complexes comme les universités.

    Benoît Godin est professeur à l’INRS (UCS). Il réalise de la recherche sur l’histoire intellectuelle et conceptuelle de la science, de la technologie et de l’innovation. Il est auteur de Measurement of Science and Technology : 1920 to the Present (London, Routledge, 2005) et Innovation Contested: The Idea of Innovation over the Centuries (London, Routledge, 2015). Il a mis sur pied récemment un réseau de recherche international sur ces objets de recherche (CASTI). Pour plus d’informations, voir : www.csiic.ca et www.casti.org.

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