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David Phipps, Université York
Pour ma part, je vois la mobilisation des connaissances comme une initiative de la base, "a grassroots initiative" : les membres du corps professoral qui adoptent cette pratique le font parce que pour eux c’est la bonne chose à faire.

[L'entretien a été réalisé dans la langue de Shakespeare, puis traduit par Découvrir]

[Sommaire du dossier Transfert]

Découvrir : L'ensemble du milieu de la recherche, ou presque, reconnaît la nécessité de faire appel, quand cela est pertinent, aux savoirs multiples bouillonnant au sein des universités. Comme directeur de l’Unité de mobilisation des connaissances à l’Université York, aux premières lignes de telles activités, comment percevez-vous la contribution des chercheurs à cette opération de transfert des connaissances?

David Phipps : Les chercheurs ne forment pas un bloc homogène, et je pense que si l’on veut développer des relations productives avec eux, il faut bien tenir compte de cette réalité.

Je divise les chercheurs en trois groupes. Le premier n’a jamais fait de mobilisation, et il n’en fera pas. Il est formé de gens compétents qui s’activent dans leurs laboratoires, leurs studios, leurs archives. Ils effectuent un travail académique « traditionnel » qui n’est pas en contact immédiat ou direct avec les acteurs sociaux. Ce sont là, il faut l’avouer, la majorité des chercheurs de notre campus.

Dans notre unité, nous ne cherchons pas à convaincre les  chercheurs qui ne sont pas motivés par la mobilisation. Mais nous offrons des services pour les soutenir dans leurs demandes de subvention ou de brevets et la mise en place d’infrastructures de recherche.

Pour le deuxième groupe de chercheurs, la mobilisation fait partie du quotidien. Ils ont bâti une carrière « collaborative », avec des partenaires du secteur public, privé ou pluriel (organismes communautaires, coopératives, OBNL, etc.). En fait, ceux-là n’ont pas besoin de notre équipe pour trouver des partenaires, ou rarement. Nous pouvons être utiles à ces chercheurs, souvent bien établis, dans la mise en place de stratégies de médias sociaux, ou encore, dans le développement de nouveaux outils de transfert.

Le troisième et dernier groupe est constitué des nouveaux chercheurs, qui veulent trouver des manières de réussir dans ce paradigme d’une recherche engagée. Mais ils ne possèdent  ni les outils, ni la formation, ni les partenaires.

Découvrir : On pourrait dire que les nouveaux chercheurs, le troisième groupe, sont des « natifs » du transfert.

David Phipps : En effet. Désormais, pour octroyer une subvention de Projets de recherche concertée sur la santé (PRCS), par exemple, chacun des programmes exige que le chercheur dispose d'une stratégie de mobilisation. C’est un peu moins vrai pour le CRSNG, car ses programmes sont davantage axés sur la commercialisation. La première question des chercheurs des deux groupes pratiquant la mobilisation est la suivante : « Pouvez-vous m’aider à rédiger ma demande de subvention? »

Nous leur offrons alors quatre services :

  • De l'aide pour trouver des partenaires;
  • Un appui pour renforcer leurs capacités – au moyen d’ateliers, par exemple;
  • L’organisation d’événements, avec leur collaboration, pour les aider à gérer leurs propres activités de mobilisation des connaissances;
  • Et puis, bien sûr, le soutien à la rédaction de leurs demandes de subvention.

Découvrir : S’il existe une telle aide provenant des fonds subventionnaires, qu’en est-il du côté des universités? Est-ce un aspect considéré dans les évaluations?

David Phipps : Très peu. La plupart de nos universités ne « récompensent » pas cette activité de mobilisation dans le parcours menant à la titularisation. Il y a des exceptions, dont le College of Social and Applied Human Sciences de l’Université de Guelph, qui a intégré ce critère au sein de sa politique de promotion des professeurs-chercheurs. Mais ailleurs, la promotion est toujours « calculée » par des métriques académiques traditionnelles.

Pour ma part, je vois la mobilisation des connaissances comme une initiative de la base, a grassroots initiative : les membres du corps professoral qui adoptent cette pratique le font parce que pour eux c’est la bonne chose à faire. À l’Université York, au Réseau Impact recherche (Research Impact), nous disons : « Nous ne changerons pas votre parcours vers la titularisation, mais nous allons faciliter votre contribution à ce type de recherche. »

Découvrir : Mais ne pensez-vous pas qu’il serait important d’évaluer les activités de mobilisation dans le parcours du chercheur?

David Phipps :  Il y a trois domaines où les membres du corps professoral sont évalués par leurs pairs au cours de leur vie professionnelle, soit la démarche vers la titularisation, les publications et les demandes de subvention. Or, dans aucun de ces domaines, nous ne faisons en sorte de placer sur un pied d’égalité les parcours traditionnels et les non traditionnels. Donc, au moment de l’évaluation de la recherche de ces personnes, nous devons non seulement nous concentrer sur la question de la titularisation, mais aussi tenir compte de leurs activités au sein des organismes subventionnaires ou de leurs publications évaluées par des pairs.

J’ai écrit un billet de blogue l’an dernier après avoir assisté à trois conférences sur ce qu’on appelle the engaged scholarship – on parle de parcours « engagé » quand les chercheurs travaillent avec leurs partenaires de la communauté pour être en mesure de créer de la recherche digne des standards scientifiques et qui se répercute au-delà de l’université. À cette occasion, très peu de chercheurs engagés présentaient leur conférence de concert avec des coauteurs non universitaires. Les universitaires s’adressaient aux universitaires. Donc, vous voyez, même ces chercheurs peinent à reconnaître leurs partenaires comme des égaux.

Découvrir : Quelle lecture en faites-vous?

David Phipps : Je pense que si nous voulons vraiment travailler avec nos partenaires communautaires, nous devons trouver des moyens de partager le pouvoir avec eux. Cela signifie aussi, entre autres, de partager une partie des fonds. De ce côté, les organismes de financement ne nous rendent pas la tâche facile, mais c’est possible si on le prévoit dès le départ.

Ne pas publier dans les lieux pertinents pour les partenaires est une autre façon de conserver le pouvoir. Si nous travaillons avec nos partenaires de la communauté pour ensuite ne publier nos résultats que dans les revues  évaluées par les pairs, ce sera difficile pour les acteurs sociaux de se sentir engagés. Donc, il faut combattre le déséquilibre de pouvoir dans cette relation qui est au cœur de la mobilisation des connaissances. Mais je ne vois pas beaucoup d'efforts déployés en ce sens.

Heureusement, chaque université au Canada a ses histoires de chercheurs titulaires qui ont réussi leur carrière en mettant les partenariats au centre de leur démarche. Nous avons besoin de bons leaders qui mettent de l’avant ces exemples. Il faut aussi se dire que les brevets et la publication savante ne sont pas incompatibles avec une entrevue à la radio, un article dans un magazine… Mais, vous le savez, cela prend du temps à rentrer dans les mœurs.

Découvrir : Comme les nouveaux chercheurs s'intègrent dès le départ dans ce nouveau paradigme, je suppose que les changements devraient s’accélérer?

David Phipps : Oui, on voit déjà ces changements, et cela ne fait que commencer…


  • David Phipps
    Université York

    David Phipps a obtenu un doctorat en immunologie de l’Université Queen de Kingston (Ontario) et a effectué un postdoctorat sur la question du VIH au University Health Network (Toronto). Après avoir quitté les laboratoires, il a bâti une carrière en gestion de la recherche universitaire et occupé des postes successivement à l’Université de Toronto à la Innovations Foundation, au Réseau canadien de l’arthrite et aux Instituts de recherche en santé du Canada. Il est aujourd’hui le directeur général des Services de recherche et d’innovation à l’Université York, où il s’occupe des dossiers relatifs aux subventions, aux contrats de recherche et au transfert de connaissances et de technologie. Enfin, il dirige Impact Recherche, un réseau formé de 10 universités canadiennes.

    Entretien réalisé par Johanne Lebel, rédactrice en chef de Découvrir.

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