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Claude-Armand Piché, Chercheur indépendant
La rédaction de "La Matière du passé" est le fruit d’une longue réflexion prenant pour objet ce qui est "dit" dans les musées d'histoire, née d’une frustration alimentée par le caractère presque toujours immanent de ce discours, comme s’il allait de soit. La recherche à l’origine de cette publication s’est ainsi donné pour mission de mieux comprendre une muséohistoire bicentenaire.

 Un faisceau d'approches

Appréhendée par la médiation de plusieurs études de cas, la production du discours historique muséal s’est révélée au fil des travaux beaucoup plus hétérogène que prévu.

Dans un premier temps, lorsque les muséohistoriens québécois ont privilégié la pratique proprement historienne pour raconter le passé, ils ont habituellement eu recours aux interprétations associées à quatre macrocourants historiographiques clés : le courant de la « survivance » canadienne-française, le courant d’inspiration impériale, le courant de l’Histoire nouvelle et, enfin, une quatrième avenue réunissant différentes pratiques historiennes indépendantes des trois précédentes .

Grosso modo, le premier courant – qui occupe l’avant-scène du paysage culturel canadien-français jusqu’à la Révolution tranquille – est le véhicule d’une histoire faisant la part belle au conservatisme, à l’anticapitalisme, à l’agriculturisme, au cléricalisme et au messianisme d’une société on ne peut plus traditionnelle.

À l’inverse, chez les Anglo-québécois de confession protestante, le courant d’inspiration impériale produit une histoire mettant en scène les valeurs matérialistes, capitalistes, scientistes et impérialistes d’une communauté tournée vers le futur, tout en étant assurée de sa supériorité ethnique.

Quant au courant de l’histoire nouvelle, il s’impose dans les musées québécois tout au long de la seconde moitié du XXe siècle. Cette histoire « sociale », faite d’un ensemble de pratiques, d’écoles et de courants historiographiques venus d'ailleurs est une véritable nébuleuse parfois difficile à cerner. Cela dit, l’Histoire nouvelle est surtout connue pour sa remise en question de l’histoire traditionnelle élitaire, souvent événementielle, politique ou militaire. Bref, il s’agit ici de remplacer une histoire des faits par une histoire des « hommes », et une histoire qui se veut politique par une interprétation plus sociale et économique du passé des collectivités.DC - 2014 - Piché - Matière

Parmi les autres manières de présenter l’histoire, associées de près à la pratique muséohistorienne québécoise, l’approche curieuse, la culture antiquaire et la numismatique ont également contribué d’une manière décisive à la genèse des interprétations du passé proposées par la muséohistoire.

Période charnière de la formation du savoir, la mise en exposition d’objets curieux à vocation attestatoire s’est poursuivie jusque tard au siècle dernier. La culture antiquaire et la numismatique, pour leur part, ont surtout mis en scène des témoins matériels avérés d’un passé surtout élitaire, en préconisant une révélation de l’histoire et de ses vertus par une forme de communication silencieuse qui présente une étroite parenté avec le pouvoir de communication de la relique religieuse.

Enfin, apparues plus tardivement, les disciplines de l’ethnologie (aussi bien amérindienne qu’euro-américaine), de l’histoire de l’art, de la sociologie, de l’archéologie, de la géographie, de la communication ou de la psychologie sont également devenues des sources d’inspiration incontournables pour le travail muséographique du muséohistorien. Si l’ethnologie a surtout voulu connaître et faire connaître les cultures des groupes sociaux venus habiter ce coin d’Amérique, la sociologie et la psychologie se sont données notamment pour mission de comprendre et de faire comprendre la modernisation, souvent difficile, des milieux traditionnels. De son côté, l’archéologie – technique de recherche et lieu d’analyse d’une culture matérielle souvent soustraite au regard – produit des connaissances avérées sur le passé, qui alimentent de manière originale le travail du muséohistorien. Enfin, l’histoire de l’art exerce également depuis longtemps une influence non négligeable sur l’interprétation du passé .

Défricher la muséohistoire québécoise

Cette enquête a également révélé la pauvreté des sources et des travaux disponibles portant non seulement sur les pratiques discursives de la muséologie québécoise, mais également sur l’ensemble de cette pratique culturelle. En effet, malgré le travail de quelques précurseurs, le chercheur et le public savant connaissent encore mal la réalité de la muséohistoire québécoise. Longtemps pratiqué par des historiens amateurs ou semi-professionnels, ce champ historiographique n’a acquis ses lettres de noblesse qu’au cours des toutes dernières décennies du siècle dernier avec les travaux de chercheurs surtout issus des disciplines de l’histoire, de l’histoire de l’art, de l’ethnologie et du folklore, de l’architecture et des sciences . Hélas, la popularité rencontrée par l’histoire muséale au Québec au cours du dernier quart du XXe siècle a connu depuis une défaveur certaine. Dans ce contexte, la publication de La Matière du passé avait notamment pour but de pallier partiellement cette situation, et ce, par la rédaction d’abord d’une genèse même partielle du musée d’histoire, de cette institution qui s’attache, depuis deux siècles, à éclairer le passé.

Classer pour comprendre

Parce que l’histoire des musées québécois est documentée de manière inégale, le portrait proposé dans cet ouvrage repose non seulement sur la confection d’un panorama du savoir-faire québécois, mais aussi sur l’étude de cas de figure illustrant les partis pris muséologiques et professionnels de leurs promoteurs. Dans ce portrait de groupe, les musées Pierre-Boucher (Trois-Rivières) et McCord (Montréal) permettent d’évoquer l’histoire des collections pédagogiques collégiales et universitaires; le Musée Historique Canadien (Montréal) et la Collection historique de Bell Canada (Montréal) témoignent de l’importance des muséologies commerciales et d’entreprise; les musées de la Société d’Archéologie et de Numismatique de Montréal (Château Ramezay) et de la Société historique du comté d’Argenteuil illustrent le travail des sociétés savantes et d’histoire; et, enfin, les lieux muséaux à vocation religieuse et les musées étatiques sont étudiés par l’entremise du Musée de la Basilique Notre-Dame (Montréal) et du fort de Chambly.

La visite de ces lieux exemplaires permet, bien sûr, de s’imprégner du travail des précurseurs de la muséohistoire, mais également de mieux comprendre les pratiques appliquées par ces derniers. Par ailleurs, en misant sur une ségrégation dont les paramètres sont étroitement liés au statut organisationnel et administratif des institutions étudiées, la typologie retenue met en scène un système de classement des lieux muséaux déterminé par la nature et les qualités managériales de l’organisme responsable de ceux-ci. En effet, dans la mesure où la professionnalisation et la modernisation du travail mené par une institution culturelle sont directement associées à l’importance des ressources financières mises à la disposition des gestionnaires, nous faisons le pari ici de la pertinence d’une grille de classement qui unit le spectre organisationnel, les modes de financement et les caractéristiques professionnelles.

Ce cadre chronologique et biographique nous permet donc de mettre en valeur les conditions ayant entouré la professionnalisation des institutions et de leur personnel. Dans la mesure où la question professionnelle est depuis toujours associée à la création, à la survie et à l’épanouissement du lieu muséal et de toute production discursive également professionnelle, il nous est apparu souhaitable de mieux comprendre les paramètres liés à la professionnalisation de la machine musée. Nous avons donc soumis ici l’objet de notre examen – la muséohistoire québécoise – à un ensemble de questions propres à susciter l’émergence d’un portrait plus raffiné de l’enjeu professionnel :

  • Existe-t-il un modèle propre à l’origine de la genèse et de la professionnalisation de la muséohistoire québécoise? La pratique muséohistorienne québécoise a-t-elle sciemment valorisé la formation et le perfectionnement de ses acteurs? Cette formation et ce perfectionnement ont-ils surtout été associés à une ou plusieurs fonctions muséales particulières (collection, conservation, recherche, exposition, éducation)? Le musée d’histoire est-il un véhicule approprié pour la poursuite d’activités scientifiques disciplinaires, à l’instar du travail accompli par les institutions liées à la pratique des sciences naturelles et physiques ou à histoire de l’art? Les conditions et les facteurs requis pour la professionnalisation des actions muséohistoriques sont-ils similaires à ceux évoqués pour le développement des sciences humaines et sociales? La professionnalisation de la muséohistoire franco-québécoise est-elle contemporaine de celle observée chez les institutions anglo-québécoises? La genèse de celles-ci est-elle le reflet d’expériences internationales de pointe?

Le format de cette chronique ne permet guère de s’attarder sur les réponses générées par ces questions. Contentons-nous donc d’évoquer quelques points forts :

  • le développement d’un vaste réseau de musées de valeur inégale longtemps dominé par les collections pédagogiques;
  • la modestie d’une vaste majorité d’institutions;
  • une très lente incubation des pratiques muséohistoriennes professionnelles (sauf les exceptions universitaires, étatiques ou commerciales);
  • une modernisation et une professionnalisation associées de près à la Révolution tranquille;
  • une professionnalisation toujours partielle au tournant du vingt-et-unième siècle;
  • une muséologie longtemps dominée par les hommes et faisant la meilleure place aux représentants de la petite bourgeoisie et, aujourd’hui, à ceux de la classe moyenne;
  • le passage d’une muséologie bilingue à une discipline devenue essentiellement d’expression française;
  • l’apport de muséologues venus d’ailleurs (Canada, États-Unis, Europe);
  • la mise en scène de quatre communautés ethniques dominantes (les nations autochtones, inuit et métisses; les Francos et les Anglo-Québécois; les minorités ethniques, immigrantes autres);
  • la mutation d’une muséohistoire véhiculant un cadre idéologique conservateur en un programme devenu le miroir des valeurs clés de la modernité bourgeoise (libéralisme, fédéralisme, néo-nationalisme, individualisme, féminisme, interculturalisme et multiculturalisme, etc. ;
  • la permanence d’une certaine censure et autocensure;
  • le remplacement des propositions muséographiques traditionnelles – proposant la contemplation de curios, de reliques et de beaux objets classés ou non selon un modèle taxinomique – par des propositions modernes offrant un point de vue thématique, ludique, scénographique ou de mise en abyme.
 Plusieurs questions et plusieurs réponses; la voie est donc ouverte plus que jamais aux chercheurs intéressés par l’aventure muséale.

  • Claude-Armand Piché
    Chercheur indépendant

    Claude Armand Piché est détenteur d’un baccalauréat en urbanisme, d’une maîtrise en muséologie et d’un doctorat en histoire de l’Université du Québec à Montréal. Basé à Montréal, ce dernier travaille présentement à deux ouvrages consacrés à l’histoire montréalaise.

     

    Note de la rédaction :
    Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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