La Nébuleuse de la Rosette dévoilée grâce à l’astrophotographie : le nuage interstellaire d’hydrogène, avec sa couleur caractéristique, est maintenant révélé
« L’Univers est une machine à faire de la conscience », Hubert Reeves
Lorsque Galilée a pointé sa lunette astronomique vers le ciel, en 1609, notre vision de l’Univers allait radicalement changé. L’instrument, à l’avant-garde de la technologie de l’époque, captait plus de lumière que l’œil et permettait d’obtenir une image agrandie des objets scrutés.
Percer le mystère de la fameuse bande blanchâtre que l’on appelait, depuis l’Antiquité, « Voie lactée » était maintenant accessible à ce grand scientifique : il découvrit que les constituantes de la trainée étaient en fait d’innombrables étoiles, trop peu lumineuses pour être perçues individuellement à l’œil nu. Il remarqua aussi, à certains endroits de notre galaxie, des concentrations plus grandes d’étoiles, qui demeurèrent une énigme pour Galilée.
« La nuit, tous les chats sont gris »
Même avec les instruments actuels, il est difficile de voir plus que ce que Galilée distinguait. Notre œil n’est pas adapté pour percevoir les détails et les couleurs des objets peu lumineux : la lumière ne peut pas s’accumuler sur la rétine durant une période prolongée, ce qui permettrait de révéler des détails trop sombres pour être soupçonnés autrement. L’œil ne fait, en somme, que du « direct ».
La photographie, elle, permet d’accumuler cette faible, mais précieuse lumière. Pour discerner davantage de détails dans les objets peu éclatants, il faut donc avoir des temps d’exposition prolongés, souvent de plusieurs dizaines de minutes; cela contraste grandement avec les quelques fractions de seconde typiquement utilisées dans la photographie, disons, plus « classique ». Photographier des objets lointains et sombres pendant plusieurs minutes et à partir de la Terre en constante rotation représente d’ailleurs un réel défi.
Autre fait important, la lumière captée a quitté les objets photographiés depuis de nombreuses années. En effet, la distance de ces objets est si grande qu’il faut la mesurer en années-lumière, soit la distance franchie par la lumière en une année. À titre d’exemple, la lumière de l’étoile Proxima du Centaure, la plus rapprochée de nous, met plus de quatre ans à nous parvenir. Voilà pourquoi son éclat est faible, même si, en réalité, la luminosité de cette étoile est semblable à celle du Soleil.
La Nébuleuse de la Rosette (NGC 2237) est un superbe exemple de ces objets célestes, invisibles à l’œil, qui peuplent notre Voie lactée. Située à environ 5000 années-lumière de la Terre, elle se révèle ainsi à nous telle qu’elle était il y a 5000 ans…
La Rosette tire son nom de sa forme, immense corolle constituée d’un nuage de gaz et de poussières. Ce nuage, d’un diamètre de 65 années-lumière, est aussi vaste que 10 millions de systèmes solaires comme le nôtre! Il est constitué d’hydrogène, d’hélium, de poussières de carbone, de silice et de métaux, qui, sous l’effet de la gravité, ont donné naissance à des dizaines d’étoiles géantes extrêmement brillantes, nommées géantes bleues (on les voit assez bien au centre de l’image principale). La grande quantité de matière disponible a effectivement rendu possible la formation d’étoiles très massives au cœur de la nébuleuse, dont certaines possèdent des dizaines de fois la masse du Soleil…
La grande masse de ces étoiles est d’ailleurs déterminante : elle crée une telle pression gravitationnelle au centre de l’étoile qu’une incommensurable quantité de réactions de fusion nucléaire se produisent. Cette fusion libère une énergie inimaginable, conférant alors à l’étoile un éclat des dizaines de milliers de fois celui de notre Soleil. En fait, le rayonnement du groupe d’étoiles centrales de la Rosette est si puissant qu’en plus d’illuminer toute la nébuleuse, il produit un puissant vent stellaire qui érode la partie centrale de l’objet céleste. Cet environnement extrêmement inhospitalier rend ainsi impossible la formation de planètes à proximité.
Immortaliser une parcelle de l’énigme de l’Univers
Le pourtour de la nébuleuse contient, quant à lui, des nuages denses et froids qui comportent poussières et molécules, apparaissant comme des colonnes sombres sur l’image. Ces piliers sont presque systématiquement présents dans les nébuleuses de ce type; ils sont des endroits où naissent, en ce moment même, d’autres étoiles susceptibles d’abriter de potentiels systèmes planétaires. L’équipe du télescope spatial Hubble a judicieusement nommé « piliers de la Création » des structures semblables identifiées dans la Nébuleuse de l’Aigle.
La Nébuleuse de la Rosette est un objet céleste éphémère au niveau astronomique : dans quelques millions d’années, le rayonnement violent des étoiles centrales de cette nébuleuse auront eu raison d’elle. Ces étoiles géantes auront dispersé dans l’espace interstellaire le reste des gaz et elles resteront, telles des sœurs, unies pour un certain temps, comme pour témoigner d’un processus de création qui fut, jadis, d’une stupéfiante mais cruelle beauté…
Épilogue
Les images de cet article ont été prises à l’Observatoire astronomique de Charlevoix (www.astronomiecharlevoix.org). Elles sont utilisées dans un cadre pédagogique, au Centre d’études collégiales en Charlevoix, pour les cours d’astronomie et de français; elles servent aussi pour des activités de vulgarisation scientifique durant la saison touristique, à l’Observatoire.
- Jean-Michel Gastonguay et Nadya Murray
Centre d’études collégiales en Charlevoix
Jean-Michel Gastonguay est professeur de physique et d’astronomie au Centre d’études collégiales en Charlevoix depuis 13 ans. Il est titulaire d’un baccalauréat en physique et d’une maîtrise en optique appliquée aux ressources renouvelables de l’Université du Québec à Chicoutimi. En 2009, il fonde avec des collègues l’organisme Sciences@CECC, dont le but est de promouvoir la culture scientifique dans la région de Charlevoix. En cette même année, l’organisme inaugure la «Balade à la vitesse de la lumière», un modèle réduit du Système solaire toujours exposé au grand public aujourd’hui. L’organisme fonde également, en 2010, l’Observatoire astronomique de Charlevoix, qui a remporté un des Grands prix du tourisme québécois en 2012.
Nadya Murray est professeure de littérature au Centre d’études collégiales en Charlevoix depuis 10 ans. Elle est titulaire d’un baccalauréat en littérature et poursuit présentement à la maîtrise en études littéraires, à l’Université Laval. Elle travaille à divers projets pédagogiques du centre d’études, notamment en ce qui a trait à la valorisation de la langue française, ce qui l’a amenée à collaborer aux ambitieux projets de vulgarisation scientifique de son collègue Jean-Michel.
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