Nous devons en tant que scientifiques établir un rapport de proximité avec la population non seulement pour contribuer au développement des esprits critiques et des arguments fondés sur la raison, mais aussi pour discuter avec les citoyens du bien-fondé de nos travaux.
Des scientifiques qui prennent le micro, qui sortent dans la rue et qui font entendre leur voix dans la sphère publique, un phénomène habituellement rare, mais qu’on a pu voir à quelques reprises en 2013. Que ce soit en réaction à des coupures gouvernementales provinciales (campagne Je suis Michèle), fédérales (marches La mort de la preuve scientifique à Ottawa et Tous ensemble pour la science partout au Canada) ou au bâillonnement des chercheurs fédéraux, de plus en plus de scientifiques prennent la parole pour défendre leur financement et leur liberté intellectuelle.
La science et la sphère publique
Or, le poids politique des chercheurs universitaires et gouvernementaux est négligeable et peu de groupes de pression, sinon aucun, défendent leurs travaux. Reste donc l’opinion de la population pour influencer le gouvernement. Une opinion souvent tiraillée par de faux débats maintenus en vie parce que la voix des scientifiques-experts ne parvient pas à se faire entendre. Autrement dit, pour que le public appuie les sciences appliquées et fondamentales, encore faut-il qu’il sache à quel point elles peuvent donner des réponses à leurs préoccupations quotidiennes, à quel point elles sont proches d’eux. Et pour cela, il faut «sortir de nos laboratoires».
Tendre la main au public
Nous devons en tant que scientifiques établir un rapport de proximité avec la population non seulement pour contribuer au développement des esprits critiques et des arguments fondés sur la raison, mais aussi pour discuter avec les citoyens du bien-fondé de nos travaux. À cet égard, le récent rapport du chantier sur une loi-cadre des universités recommande que « les services à la communauté » et l’« ancrage dans les collectivités de proximité » fassent partie intégrante des fonctions essentielles et des valeurs des universités.
Mais pour réellement nous rapprocher de la population, nous devons engager la discussion de citoyen à citoyen. En faisant comprendre les interrelations entre nos travaux et leurs effets sur le bien commun, on facilitera, entre autres, l’appui des gens au financement de la recherche.
Et pour construire cette relation, les possibilités sont nombreuses : multiplier les contacts avec le public là où il est, participer en tant qu’experts aux débats sociaux et profiter de chaque occasion qui se présente de transmettre la culture scientifique. À l’instar de Fernand Seguin, nous pensons que la passion pour la science se transmet également, et qu’elle peut influencer et relever le niveau de la culture publique générale.
Développer une Attraction chimique pour le public
Tous les scientifiques ne sont pas des communicateurs de la trempe des professeurs Normand Mousseau ou Jean-Marie De Koninck. Tous ne désirent pas non plus s’exprimer sur la place publique sur des sujets chauds. Promouvoir la culture scientifique et la recherche auprès du public est donc une façon de s’en rapprocher et de sensibiliser la population à la science.
C’est le défi que nous avons tenté de relever avec Attraction chimique, un projet itinérant de communication et d’éducation scientifique visant à montrer l’utilité de la science, appliquée et fondamentale, dans le quotidien. Une idée qui a d’abord germé dans la tête de chercheurs fondamentaux en chimie (Normand Voyer et Michèle Auger). Grâce à un financement du programme Novascience du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, nous avons pu engager un responsable logistique pour ce projet. Nous avons ensuite mis sur pied un réseau de partenaires et de collaborateurs qui font le pont entre la science et la population.
À travers des ateliers dynamiques et interactifs faisant appel aux émotions, les participants d’Attraction chimique expérimentent la science en direct. Ils deviennent en quelque sorte des «chimistes» pendant quelques minutes ou quelques heures. La connotation péjorative du mot «chimique» se dissout, diluée par la fascination soulevée par des expériences intrigantes.
L’enthousiasme soulevé par les activités de science citoyenne auxquelles nous avons participé (Expo Québec, Festival Eurêka!, Salons de l’emploi, activités scolaires, etc.) se transmet même aux scientifiques-éducateurs. La satisfaction de voir des jeunes s’adonner à la pratique scientifique avec enthousiasme vaut largement celle d’un papier publié dans un journal scientifique et lu par quelques initiés seulement.
En creusant un peu, on constate un vif intérêt pour la science, et ce, chez divers publics. Des services interactifs et mobiles de vulgarisation scientifique sont donc essentiels, notamment pour les régions éloignées.
Rejoindre le mouvement
Attraction chimique n’est qu’une manière de vulgariser la science, partager les idées et les connaissances pour finalement débattre. D’une part, pour transmettre les résultats de travaux scientifiques, les services de communication institutionnels aident à diffuser nos travaux pour autant qu’on les tienne au courant.
De son côté, le Centre canadien science et médias, un organisme indépendant dont le mandat est d’aider les journalistes à trouver les experts, offre des conseils pratiques pertinents sur son site web.
Si la peur d’être mal cité persiste malgré ces recommandations, pourquoi ne pas alors écrire un courriel ou une lettre d’opinion aux médias, à l’Agence Science-Presse ou encore rejoindre un blogue. Un texte entier ne peut être mal cité.
En remettant les pendules à l’heure dans des débats qui trop souvent dérapent et s’étirent, la science montre son utilité concrète. Cela présuppose par contre que le public possède une bonne culture scientifique pour prendre des décisions éclairées. Des sources de financement (ex. Novascience, MESRST; Promoscience, CRSNG) sont disponibles pour mettre sur pied des projets de communication scientifique, bien que certains fonds aient été particulièrement réduits durant la dernière année.
Cela dit, le processus de demande de financement peut paraître lourd. Si tel est votre cas, pourquoi ne pas préparer une courte conférence grand public (Chimie de l’amour), pour les écoles (Programme Innovateurs à l’école) ou pour un bar des sciences? Vous seriez surpris du plaisir qu’on peut retirer à expliquer l’utilité de notre travail directement aux gens.
Malgré tout, le contact direct avec le public vous repousse? Alors, participez à la conception d’une exposition pour un musée (Musée de la nature de Sherbrooke, Centre des sciences de Montréal). Vous pouvez aussi proposer un projet à une bibliothèque, où vous aurez probablement une plus grande liberté.
Votre horaire est trop surchargé? Demandez à une équipe de communication ou à vos étudiants d’intégrer au site web de votre laboratoire ou de votre institution une section ou une vidéo vulgarisant votre domaine de recherche ou vos travaux (ex. Le Cerveau à tous les niveaux, McGill). Vraiment, les possibilités de contacts avec le public sont illimitées!
Du soutien aux chercheurs-vulgarisateurs
Bon nombre d’activités d’éducation et de communication scientifiques font un excellent travail au Québec (ex. : Les 24 heures de science, CREO, Génial!, Les Années-lumière, etc.). Un chercheur peut facilement offrir son expertise à l’une d’entre elles. Or, les activités de science citoyenne sont souvent méconnues du grand public, notamment du réseau scolaire, comme l’a souligné le Conseil supérieur de la science le 22 août dernier. Pour promouvoir votre nouvelle activité, vous pouvez tout de même vous associer aux réseaux de communication et d’éducation scientifique déjà en place (Association des communicateurs scientifiques du Québec (ACS), Conseil du développement du loisir scientifique du Québec (CDLS), Association pour l’enseignement de la science et de la technologie au Québec (AESTQ), etc.).
Des efforts concertés
Comme le rapportait récemment le Conseil supérieur sur l’éducation, une meilleure concertation des activités de promotion et de diffusion des sciences, la plupart financés par le gouvernement, doit voir le jour . En outre, comme le rappelait récemment Jacques Kirouac, directeur général de Science pour tous, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie et celui de l’Éducation, du Loisir et du Sport gagneraient à arrimer leurs politiques. En espérant que la Politique nationale de recherche et d’innovation, qui doit paraître bientôt, traite de ces problèmes.
En attendant, des efforts sont lancés pour réunir les acteurs de la communication scientifique, comme la Journée d’échanges et de concertation sur la complémentarité des activités formelles et informelles en éducation scientifique de la Mauricie. Un sommet panquébécois similaire qui réunirait scientifiques-chercheurs, enseignants, communicateurs et éducateurs scientifiques et même parents devrait également, à notre avis, voir le jour pour mieux coordonner nos efforts.
D’ici là, des outils de communication et des organismes sont à la disposition des chercheurs. Les sources de financement gouvernementales, nous l’espérons, continueront d’appuyer les approches originales et novatrices pour diffuser la science et les travaux de recherche québécois au public. Des efforts pour améliorer les réseaux de communication sont déjà en place; il ne tient qu’aux scientifiques d’y ajouter leur voix.
- Normand VoyerProfesseur·e d’universitéUniversité Laval
Normand Voyer est chimiste, professeur titulaire au Département de chimie de l’Université Laval et directeur de PROTEO. En plus de ses travaux en chimie bio-organique, sa conférence sur la Chimie de l’amour a été présentée à plus de 140 reprises. Il a également participé à trois activités itinérantes de vulgarisation des sciences et il tient des chroniques régulières sur plusieurs chaînes de radio. Il a reçu le Prix d’excellence pour l’enseignement de la chimie au Canada en 2009.
- Jean-Daniel Doucet
Université Laval
Jean-Daniel Doucet est chimiste et chargé de projet pour Attraction chimique, une activité de vulgarisation itinérante et interactive du Département de chimie de l’Université Laval, qui a remporté le prix Relève TechnoScience de l’ADRIQ en 2012. Titulaire d’une maîtrise en sciences biomédicales de l’Université de Montréal et d’un baccalauréat en biochimie de l’Université Laval, Jean-Daniel est également journaliste scientifique en herbe.
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