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Marie-Ève André, Université de Sherbrooke
La composition de la photographie peut paraître un peu théâtrale. Le sarcoramphe, fièrement campé sur son repas, semble littéralement poser pour nous! Toutefois, déclenchée par un détecteur de mouvement, cette image est entièrement le fruit du hasard. En arrière-plan, vous pouvez même remarquer une deuxième caméra qui capture l’action sous un autre angle.

#MagAcfas - Découvrir : Sarcoramphe ou Quand votre sujet de recherche vit au cœur de la jungle..., par Marie-Ève André, Université de SherbrookeHistoires tropicales

Le règne animal n’a plus de secrets pour nous? Pourtant, nous sommes encore plusieurs chercheurs à consacrer d’innombrables heures à démystifier la vie quotidienne de certaines espèces insaisissables… Qu’il s’agisse de chauves-souris cavernicoles, de papillons survolant la canopée montagneuse des forêts de nuages1 ou de grands oiseaux forestiers, ils ont tous en commun de s’être adaptés aux plus extrêmes conditions de la planète. Et nous, pauvres primates bipèdes, les trouvons parfois bien difficiles à étudier!

Parmi ces animaux défiants, les espèces forestières tropicales donnent particulièrement du fil à retordre aux scientifiques. En effet, la dense végétation typique de la jungle ne favorise pas les déplacements rapides. Les chemins pour véhicules motorisés sont rares et les déluges caractéristiques de la saison des pluies inondent les sentiers, les rendant souvent impraticables. Dans le cadre de ma récolte de données sur le terrain dans le sud du Yucatan au Mexique, j’ai si souvent embourbé ma camionnette dans des mares de boue que je suis devenue une as de la mécanique automobile!

J’ai si souvent embourbé ma camionnette dans des mares de boue que je suis devenue une as de la mécanique automobile!

Pourtant, ces tracas mineurs occasionnés par les pluies torrentielles ne sont qu’une introduction aux joies du travail de biologiste sous les tropiques! Il y a aussi des serpents mortels qui se cachent sous les feuilles, des insectes piqueurs qui transforment votre corps en champ de mines, des plantes urticantes qui vous lacèrent la peau et de féroces prédateurs qui rôdent… Un jour, alors que nous progressions dans une forêt sombre et silencieuse, mon guide m’a mise en garde : « À tout moment, lorsque l’on s’aventure profondément dans la jungle, un jaguar nous épie, m’expliqua-t-il. Nous pouvons seulement espérer qu’il soit de buen humor! »

Vous aurez compris qu’en forêt tropicale, la logistique des prises de mesures in vivo n’est pas de tout repos. Mais que fait-on lorsque l’espèce tant convoitée s’enfuit au moindre signe d’une présence humaine? Les données comportementales doivent alors être captées par des caméras-pièges à détecteur de mouvements. Programmées pour saisir des images fixes et de courtes vidéos, ces caméras permettent de dévoiler les secrets intimes d’espèces animales dont la biologie nous est encore inconnue. Les découvertes qui sont alors à notre portée sont illimitées. Le jeu en vaut donc vraiment la chandelle!

La recherche

Mon sujet de recherche, le sarcoramphe roi, est un oiseau de grande taille des forêts d’Amérique tropicale s’alimentant exclusivement d’animaux morts [NDLR : pour en savoir plus, lire le texte "lauréat" de l'auteure : Un dîner de roi]. Ce charognard est omniprésent dans le folklore maya, où il figure en tant que messager entre le monde des vivants et celui des défunts. En outre, le zopilote rey occupe une place de choix dans l’imaginaire collectif du sud du Yucatan. Malgré tout, les scientifiques connaissent bien peu les mœurs de cet animal emblématique.

Mon sujet de recherche, le sarcoramphe roi, est un oiseau de grande taille des forêts d’Amérique tropicale s’alimentant exclusivement d’animaux morts.

Mon travail est de démystifier les comportements alimentaires du sarcoramphe. Pour y parvenir, j’ai appâté les oiseaux avec des carcasses destinées à la consommation des nécrophages. L’installation de caméras-pièges sur des arbres en périphérie des carcasses m’a permis d’éviter les perturbations comportementales associées à l’observation directe des animaux. Sur le terrain, lorsque le montage expérimental carcasse-caméras était complété, je devais impérativement quitter les lieux et n’y revenir qu’une semaine plus tard pour récupérer l’information enregistrée dans la mémoire des caméras.

Les vidéos ainsi récoltées sont une mine d’or d’informations. Certains comportements captés n’ont même jamais été observés auparavant! Les sarcoramphes sont des oiseaux sociaux possédant une hiérarchie potentiellement très complexe. Aux abords des carcasses, leurs danses et mimiques successives pour accéder à la ressource alimentaire font rigoler les chercheurs les plus austères. Dans la vidéo que je partage avec vous, des sarcoramphes disputent l’accès au cadavre à des urubus noirs, leurs principaux compétiteurs.

De l'usage de ces travaux

À l’instar de celle de la plupart des espèces forestières tropicales, la pérennité du sarcoramphe roi est menacée par la conversion des forêts en terres agricoles et en pâturages. En s’efforçant de mieux comprendre les besoins écologiques des espèces les plus méconnues, les biologistes de par le monde affrontent vents et marées pour assurer la conservation de créatures aussi fantastiques qu’essentielles au maintien des écosystèmes. En ressentant le pouls d’une jungle regorgeant d’énigmatiques formes de vie, je réalise qu’après tout, le métier de biologiste demeure le plus beau métier du monde!

Notes :

  • 1. Forêts tropicales humides situées en montagne et enveloppées en permanence par une épaisse bruine, d’où l’appellation « forêt de nuages ». Ce sont des écosystèmes très biodiversifiés où l’on trouve plusieurs espèces rares, menacées et peu étudiées. La phrase pourrait s’écrire : « …survolant la canopée de forêts d’altitude… », mais personnellement, je préfère conserver l’expression « forêts de nuages » parce que l’image est forte et illustre bien mon propos.

  • Marie-Ève André
    Université de Sherbrooke

    Marie-Ève André est une biologiste qui se spécialise en conservation de la faune et en écologie du paysage. Réalisés dans la région de Calakmul au Mexique, ses récents travaux de recherche ont permis de mettre en lumière certains mécanismes de sélection des habitats d’alimentation du sarcoramphe roi. Ces recherches faciliteront le design d’un plan de conservation pour cette espèce au statut précaire. Par la vulgarisation scientifique, Marie-Ève André espère contribuer à conscientiser les gens sur l’importance de préserver la biodiversité, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Elle fera d’ailleurs partie de l’équipe de communicateurs scientifiques à bord du Sedna IV pour la mission 1000 jours pour la planète dirigée par Jean Lemire, en collaboration avec Espace pour la vie.

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