Les hausses considérables du financement dédié aux collèges québécois font en sorte que la recherche collégiale n’a jamais été autant soutenue par l’État québécois.
Le financement canadien…
Depuis quelques années, le gouvernement et les organismes subventionnaires fédéraux portent une attention particulière à la recherche menée dans les collèges communautaires, les instituts et les cégeps. Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), par exemple, a mis en place un programme pilote à l’intention de ces établissements en 2003, lequel a mené à la mise en place du programme d’Innovation dans les collèges et la communauté (ICC). En 2011, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) a pour sa part publié une « analyse ciblée de l’environnement » des collèges, dans le but d’évaluer de quelles manières il pourrait soutenir adéquatement les chercheuses et chercheurs de collège. Comme le démontre l’évolution du financement du programme d’ICC, la hausse récente de la contribution du gouvernement fédéral à la recherche collégiale est importante et tout indique qu’elle ira en augmentant dans les années à venir. Ce nouvel intérêt des organismes subventionnaires envers la recherche collégiale s’ajoute aux programmes de la Fondation canadienne de l’innovation, dont la contribution, jumelée à la contrepartie du ministère du l’Éducation, du Loisir et du Sport, s’élevait à près de 12 millions $ en 2011-2012.
…et le financement québécois
La volonté politique de développer la recherche collégiale existe depuis plus longtemps au Québec qu’au Canada. Dès l’adoption de la première politique québécoise de la recherche en 1980, les cégeps sont identifiés comme des acteurs du système d’innovation. De plus, en 1993, le gouvernement du Québec ajoute la recherche à la mission de ces institutions. L’ancêtre du Fonds de recherche du Québec, le FCAR, avait un programme dédié aux chercheuses et chercheurs de collège dès 1982. Comme nous le verrons plus loin, le Québec est devenu le leader de la recherche collégiale à l’échelle canadienne au début des années 1990, avant qu’une série de décisions, à la fois dans le milieu collégial et dans son environnement, ne viennent déstructurer son infrastructure de recherche entre 1996 et 1999. L’évolution du financement de la recherche collégiale par le gouvernement du Québec depuis la fin des années 1990 témoigne d’une volonté, maintes fois affirmée, de réparer les « pots cassés ». Depuis les Stratégies québécoises de la recherche et de l’innovation de 2006 et 2010, les hausses considérables du financement dédié aux collèges québécois font en sorte que la recherche collégiale n’a jamais été autant supportée par l’État québécois.
Un créneau pour les collèges : entre PME et universités
À Québec comme à Ottawa, le créneau que l’on veut d’abord attribuer aux collèges est celui de la recherche appliquée, au service des petites et moyennes entreprises. La hausse du financement cible d’abord les 46 Centres collégiaux de transfert de technologie qui, associés par le Réseau Trans-tech, sont souvent cités en exemple à l’échelle pancanadienne comme un modèle de développement pour la recherche collégiale. On les perçoit dans les politiques gouvernementales comme des « courtiers du savoir », idéalement situés pour transférer les résultats de la recherche fondamentale, généralement universitaire, vers des applications au bénéfice des entreprises et de la communauté. La plus récente Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation mise d’ailleurs sur une plus grande intégration de la recherche collégiale avec la recherche universitaire, en appuyant les collaborations et les partenariats.
La mesure de l’activité de recherche
Au-delà des initiatives de financement, les méthodes bibliométriques permettent de mesurer l’activité de recherche des chercheuses et chercheurs de collège. Certes, une partie de la recherche collégiale demeure difficile à étudier avec cette méthode, puisque les projets de recherche appliquée, plus proches du développement de produits dans un cadre partenarial avec l’entreprise privée, entraînent souvent des ententes de confidentialité quant aux résultats. (Certains questionnent d’ailleurs cette utilisation des fonds publics dont les retombées sont peu visibles, en dehors des retombées économiques déclarées par les partenaires. Il y a là une toute autre question qui mériterait notre attention dans un autre article). Malgré cela, la bibliométrie nous permet de mesurer certains impacts des récentes mesures gouvernementales. En premier lieu, nous pouvons constater que le Québec a freiné son déclin par rapport au reste du Canada. Si, en 1992, la part des chercheuses et chercheurs de collège du Québec dans l’ensemble de la recherche collégiale au Canada dépassait 45%, elle n’a cessé de décroître jusqu’à un creux historique d’à peine 15% en 2004. Depuis, la part du Québec a recommencé à croître, bien que l’année 2010 voit une baisse attribuable non pas à une diminution du nombre de publications au Québec, mais plutôt à une hausse marquée de celle des autres provinces canadiennes. Au total, entre 2001 et 2010, le Québec compte pour 25,4% des publications en provenance de l’ordre d’enseignement collégial au Canada, une part plus élevée que son poids démographique. Il n’est devancé que par la Colombie-Britannique, d’où émanent 34,7% des publications. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que les deux collèges ayant le plus grand nombre de publications proviennent de ces deux provinces : l’Okanagan College, en Colombie-Britannique et le collège Dawson, au Québec. Il faut toutefois savoir que l’Okanagan College, qui a reçu une autorisation de donner des programmes universitaires en 1995, a été scindé en 2005 en deux parties, dont l’une a été intégrée à la University of British Columbia. Son statut de collège communautaire, entre 1995 et 2005, n’est ainsi pas comparable à celui des collèges québécois. Notons également que le collège Dawson est le plus grand cégep québécois.
En second lieu, nous pouvons constater que rapprocher les chercheuses et chercheurs de collège du milieu universitaire, ainsi que prioriser les recherches d’envergure internationale au nom de l’excellence, sont des objectifs qui semblent se réaliser. En effet, tant au Québec qu’au Canada, le pourcentage des publications produites dans le cadre de collaborations collège-université est en forte hausse depuis 2006, et cette tendance est encore plus lourde au Québec qu’au Canada, où près 75% des publications des collèges sont écrites dans ce contexte. Parmi les trois revues où l’on retrouve le plus grand nombre d’articles publiés entre 2006 et 2010, deux sont généralement associées à la recherche appliquée (Forestry Chronicle et International Dairy Journal) et une, à la recherche fondamentale (Journal of Differential Equations). Quatre CCTT sont à l’origine des publications dans les deux premières revues et un professeur de mathématique d’un cégep anglophone est à l’origine des publications dans la troisième. Ce constat nous amène à penser que la tendance à un rapprochement entre les collèges et universités touche probablement l’ensemble de la recherche collégiale et n’exclut pas, par exemple, le domaine de la recherche appliquée dans les CCTT. Puis, en troisième lieu, le nombre de projets de recherche réalisés dans le cadre de collaborations internationales est également en forte augmentation. Si la recherche collégiale québécoise a connu une baisse marquée du pourcentage de ses publications réalisées dans un tel contexte entre 2001 et 2005, tombant à un peu plus de 15% alors qu’il était à près de 25% dans la période précédente (1996-2000), ce pourcentage est remonté à plus de 33% entre 2006 et 2010. Ce retournement de situation permet au Québec de rejoindre la moyenne canadienne qui, elle, a connu une augmentation régulière depuis 1991. Il est possible que l’augmentation du nombre de publications réalisées dans le cadre de collaborations internationales soit liée à celle du nombre de collaborations collège-université.
Les publications par domaines
Il semble que la répartition des publications dans les trois grands domaines de la recherche échappe en partie à la logique du financement dédié aux chercheuses et chercheurs de collège et suive de plus en plus celle du financement global de la recherche. En effet, le domaine qui soutient le moins la recherche collégiale est celui de la santé : ni au fédéral, ni au provincial ne retrouve-t-on des programmes dédiés aux chercheuses et chercheurs de collège dans ce domaine et les critères d’admissibilité rendent la tâche de ceux-ci très difficiles … à moins d’intégrer une équipe universitaire. Or, la répartition des publications entre les trois grands domaines de recherche étonne. Si, sans surprise, plus de 50% des publications des dix dernières années sont dans le domaine de la nature et des technologies (rappelons que la grande majorité des CCTT œuvrent dans ce domaine), il est au contraire surprenant de constater que 27,9% des publications sont dans le domaine de la santé. Cette tendance va d’ailleurs en s’accentuant, le Québec ayant 30% de ses publications des trois dernières années dans ce domaine. Notons toutefois que ce pourcentage est bien en-dessous de celui obtenu pour le Canada dans son ensemble, où environ 45% sont dans le domaine de la santé depuis trois ans. Il est par ailleurs intéressant de constater que la répartition des divers domaines de la recherche est comparable au Québec et au Canada.
De ce bref portrait, quelques constats
Tout d’abord, après avoir vu sa part de la production canadienne décroître pendant les années 1990, la recherche collégiale québécoise a repris de la vigueur depuis quelques années. Ensuite, la recherche collégiale s’effectue de plus en plus dans le cadre de collaborations avec les universités. Nos données ne couvrent pas l’ensemble des publications des chercheuses et chercheurs de collège, mais bien celles qui sont parues dans des revues reconnues à l’échelle internationale. Il serait donc inapproprié de conclure que la majorité des travaux réalisés dans le réseau collégial sont effectués en collaboration avec l’université. Toutefois, la tendance en ce sens est si lourde qu’il est possible de croire que ce sera le cas dans un proche avenir. Le nombre de collaborations internationales est, lui aussi, en forte augmentation et la recherche dans le domaine de la santé occupe une place plus grande que celle qu’on lui attribue généralement lorsqu’on pense à la recherche collégiale. Finalement, force est de constater que ces récents développements vont globalement dans le sens des souhaits exprimés par les politiques gouvernementales.
- Sébastien Piché et Vincent Larivière
Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption et Université de Montréal
Diplômé de l’UQÀM et du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie en histoire des sciences, Sébastien Piché enseigne au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption depuis 1996; il est également chargé de projet pour l’Association pour la recherche au collégial depuis 2007. Il s’intéresse à la recherche et aux fondements de l’éducation en enseignement supérieur. En collaboration avec Lynn Lapostolle et Monique Lasnier, il a publié La recherche collégiale : 40 ans de passion scientifique (PUL, 2011); il est aussi l’auteur du Réseau Trans-tech : 20 ans d’évolution en 20 dates clés (Réseau Trans-tech, 2012). Il est par ailleurs l’un des auteurs d’un ouvrage didactique, Histoire de l’Occident (Modulo, 2011). Il est présentement membre de la Commission de l’enseignement collégial du Conseil supérieur de l’éducation.
Vincent Larivière est professeur adjoint à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, membre régulier du CIRST et chercheur associé à l’Observatoire des sciences et des technologies. Ses recherches s’intéressent aux caractéristiques des systèmes de la recherche québécois, canadien et mondial, ainsi qu’à la transformation, dans le monde numérique, des modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en Science, technologie et société (UQAM), d’une maîtrise en histoire (UQAM) et d’un Ph.D. en sciences de l’information (Université McGill).
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