Aller au contenu principal
Il y a présentement des items dans votre panier d'achat.
Sébastien Morin, Université de Bâle
Depuis maintenant 30 ans, une véritable guerre mondiale est menée contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). On sait désormais le dépister, l’éviter, le traiter, mais le guérir... toujours pas. Partout sur la planète, de multiples laboratoires livrent donc encore bataille. Pour ma part, c’est à partir de la Suisse que j’y contribue, au sein du laboratoire du Pr Stephan Grzesiek, au Biozentrum de l’Université de Bâle.

 Un petit récepteur au centre du combat

Le terrain de lutte contre l’ennemi se situe à l’échelle moléculaire, mais avant de descendre dans l’arène, laissez-moi vous présenter le gladiateur vedette : CCR5. Ce diminutif est tiré de « C-C chemokine receptor type 5 ». CCR5 est un récepteur que l’on trouve parmi les protéines de surface des cellules et qui est codé pour recevoir des chimiokines C-C, une famille de petites protéines.

Le rôle physiologique  « normal » de CCR5 est de servir de récepteur pour des chimiokines qui permettent l’activation des cellules du système immunitaire. Mais dans l’infection par le VIH, CCR5 est un collaborateur. Ainsi, en tant que corécepteur pour une protéine du virus, il fait partie du système permettant l’entrée de ce dernier dans la cellule.

L’attaque

En surface du virus se trouve la protéine gp120, qui s’attache à la protéine CD4 de la cellule à infecter. Puis, une fois cette première étape franchie, la liaison avec CCR5 se produit. Cette deuxième interaction est absolument nécessaire pour l’attachement du virus à la cellule et son entrée dans celle-ci.

Bloquer...

On peut bloquer CCR5 avec une chimiokine – par exemple,  pour empêcher l’attachement. On aimerait que ce soit aussi simple, mais le « blocage » de CCR5 avec un ligand naturel, comme la chimiokine RANTES, entraîne de l’inflammation. Cet effet secondaire empêche l’utilisation de RANTES ou de toute autre molécule activant l’inflammation. Cependant, RANTES comme d’autres agonistes permettent l’internalisation du récepteur CCR5 qui se trouve à la surface de la cellule.

...ou cacher ce récepteur que le virus ne saurait voir

L’internalisation est un processus naturel par lequel le récepteur entre dans la cellule. De cette façon, la réponse au signal s’interrompt; c’est ce qu’on appelle la désensibilisation. L’internalisation permet de  « cacher » CCR5 et de berner la particule du VIH, qui alors ne peut entrer dans la cellule. L’absence de CCR5 à la surface de la cellule ne serait pas problématique, puisque des individus arborant une mutation empêchant l’expression de CCR5 ne souffrent, apparemment, d’aucun dysfonctionnement. Compte tenu de ces données, une approche prometteuse consiste à inactiver ou  « cacher » CCR5, sans pour autant induire une réaction inflammatoire. Il est donc important de développer des molécules permettant d’empêcher l’interaction de gp120 avec CCR5, par blocage direct ou par internalisation de CCR5.

Une petite molécule efficace, mais qui coûte cher

Pour le moment, un seul traitement agissant sur CCR5 est disponible. Il s’agit du Maraviroc, une petite molécule commercialisée par Pfizer sous les noms de Selzentry et Celsentri (selon la région). Cette molécule, approuvée par la FDA (Food and Drug Administration américaine) et la Commission Européenne depuis 2007, se lie à CCR5 sans causer ni inflammation ni internalisation du récepteur, mais en bloquant toute interaction avec gp120. Le Maraviroc est utilisé actuellement pour traiter les personnes atteintes du VIH, en particulier celles chez qui les traitements traditionnels (attaquant le virus directement) ne fonctionnent plus pour cause de résistance. L’action du Maraviroc consiste à empêcher le virus d'infecter de nouvelles cellules, et donc de diminuer le nombre total de virus dans le sang et la progression de la maladie. Certaines études visent par ailleurs à formuler le produit en gel afin de l’utiliser en prophylaxie et de façon externe pour éviter la transmission entre individus lors de relations sexuelles. D’autres petites molécules synthétiques semblables au Maraviroc sont en développement.

Baisser le coût de production

Une autre stratégie consiste à développer des variants des chimiokines ayant des propriétés pharmacologiques améliorées – des variants ne causant pas d’inflammation, bien sûr. Actuellement, un variant de RANTES nommé RANTES-5P12 attire l’attention, car il possède des caractéristiques similaires à celles du Maraviroc (blocage de l’interaction avec gp120, sans inflammation et internalisation de CCR5) tout en ayant un très faible coût de production. En effet, il peut être produit en grande quantité avec certains organismes, telles les bactéries, les levures ou les plantes. De plus, sa stabilité aux conditions extrêmes permet d’espérer que ce variant de RANTES puisse bientôt entrer sur le marché sous forme de produit prophylactique à usage externe. Son utilisation serait appropriée dans certains pays pauvres, comme en Afrique subsaharienne, où la chaîne du froid n’est pas garantie. Par contre, comme RANTES-5P12 est une petite protéine, un traitement sous forme de comprimé (comme pour le Maraviroc) est impossible, puisque la protéine serait digérée lors de son passage dans l’estomac et ne pourrait pas atteindre ses cibles dans l’organisme. Ainsi, l’utilisation de RANTES-5P12 ne vise que la prophylaxie, contrairement au Maraviroc qui peut être utilisé pour le traitement des personnes déjà infectées, et pour lequel un traitement préventif est présentement testé en phase clinique.

Comprendre fondamentalement les liaisons avec CCR5

Le projet auquel je participe pour mon postdoctorat vise à étudier la structure de CCR5 et de ses interactions avec le complexe CD4/gp120 ainsi qu’avec diverses molécules, humaines ou synthétiques, y compris, entre autres, RANTES, RANTES-5P12 et le Maraviroc. Le but est de mieux comprendre comment les différents ligands interagissent avec CCR5 afin de développer de nouveaux traitements. Des traitements améliorés offriraient une meilleure stabilité, une liaison plus forte à CCR5, l’absence d’inflammation, etc. Ce projet de recherche s’intègre à une vaste entreprise de recherche au niveau européen : le consortium CHAARM (acronyme pour Combined Highly Active Anti-Retroviral Microbicides, http://chaarm.eu, voir la figure 2). Ce consortium s’intéresse au développement de microbicides bon marché pour empêcher la transmission du VIH lors de relations sexuelles. En particulier, il vise certains pays où la culture locale n’est pas favorable aux moyens de prévention plus traditionnels telle que l’utilisation de préservatifs.

De l’échelle moléculaire à l’échelle humaine

Voici donc un exemple de l’une des nombreuses batailles menées contre cet ennemi coriace. Elle est exemplaire à mon avis de toute une science qui se pratique désormais avec beaucoup de précision, à l’échelle moléculaire. Une science d’équipe, qui ne peut se faire qu’avec de nombreuses collaborations permettant l’accès à plusieurs méthodes, expertises et résultats complémentaires. On voit aussi que le combat se mène tout autant à l’échelle moléculaire qu’à l’échelle humaine où, si la méthode se révèle efficace sur un plan et trop chère sur l’autre, on n’a alors gagné qu’une escarmouche dans ce grand conflit...


  • Sébastien Morin
    Université de Bâle

    Sébastien Morin (sebastien.morin@unibas.ch) a complété un Ph. D. en biochimie à l’Université Laval et est présentement stagiaire postdoctoral, récipiendaire d’une bourse EMBO, au sein du Département de biologie structurale du Biozentrum (Université de Bâle, Suisse).

Vous aimez cet article?

Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.

Devenir membre Logo de l'Acfas stylisé

Commentaires