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Découvrir - Novembre 2011
Le rêve précède la participation à la réalité, qu'il s'agisse de la découverte scientifique ou de la planification du territoire. Les symboles sont privilégiés dans la langue de nos aspirations : l’oiseau sur la branche s'envole vers l’inconnu et revient chargé de matériaux et de messages; la branche et le tronc qui le nourrissent deviennent plus solides en conservant les réserves des années antérieures.

Les courants qui alimentent la science sont nombreux et ses progrès sont conditionnés par les plus heureuses convergences. 

Les archivistes et les érudits exercent une force conservatrice sur la protection du trésor commun et sur l'accessibilité et la récupération des idées et des théories aussi bien que de l'information. Gardiens et interprètes, ils occupent jalousement le centre de la toile d'araignée de la connaissance.

Les chercheurs sont plutôt à sa périphérie, puisqu'ils sont la force innovatrice. II leur arrive même d'être « exorbités », ne sachant pas bien comment se rattacher à la cohérence fondamentale qui va donner un sens à leurs découvertes.

Comment donc le grand « patron » de la science se présente-t-il sans trop de déchirures? Là comme ailleurs, les antagonismes tiennent à la démarche même des consolidateurs et des innovateurs. En 1964, j’écrivais : « L'unité de la science est constamment en jeu. Je pense que nous sommes tous conscients de la menace à notre sécurité intellectuelle que suscite toute découverte. L'ambivalence de notre admiration pour les innovateurs tient à notre crainte de ne pas reconnaître le son de leur voix, et aussi à la prudence critique qui pose les seules barrières valides à nos recherches. Cette unité, chacun ne peut la saisir qu'à sa manière et cela demande une longue patience, une longue pratique du grand conseil de Socrate pour y arriver. » 1

Dans un autre essai2, en 1967, je tentais une classification des scientifiques : I’encyclopédiste, le systématicien, le naturaliste, l'expérimentateur et le théoricien. II n'est pas à prouver qu'on trouvera quelques-uns des plus grands dans toutes ces catégories et que chacun d'entre nous, quelle que soit sa taille, ait des affinités et des aptitudes plus grandes (mais non exclusives) pour l’une ou l’autre de ces fonctions.

De plus, le milieu physique et culturel où nous vivons est indissociable de la perception et de I'interprétation du monde qui nous entoure et, par conséquent, de la démarche suivie et de la nature des interprétations que nous tentons de formuler et de communiquer. Autrefois Darwin3, aujourd'hui Dobzhansky4 et Watson5, nous offrent des « confessions » où les contingences du hasard et de la nécessité6 se réconcilient selon des desseins nouveaux. Ces témoignages nous font vivre le cheminement de ceux à qui nous sommes redevables de perceptions libératrices de l'intelligence et de projections révélatrices de l'expérience. L'intégration de la sensibilité esthétique et la pondération de la sagesse font donc partie de la programmation de la connaissance scientifique et de sa projection dans la vie quotidienne.

On peut se demander, au Québec en 1984, si la communauté scientifique et la société elle-même se reconnaissent et trouvent leur place dans la stratégie de la découverte, de l'intégration et de I'application. Puisque nous ne sommes plus, comme dans les années 19407, uniquement des consommateurs de la science et de la technologie étrangère, mais (si modestement que ce soit) des producteurs et des implanteurs, nous donnons-nous les moyens d'une certaine autonomie? Sommes-nous présents en force dans l’innovation, dans la synthèse et dans l'application?

Le « virage technologique » (1980...?) ressemble beaucoup à la « crise de l'environnement » (1965...?) : ce qui était depuis longtemps visible pour plusieurs d'entre nous fait irruption dans la conscience publique. La panique du rattrapage sévit de nouveau. Un Alvin Toffler a l’air de nous dire que si nous ne sommes que des surfeurs de la troisième vague, nous allons non seulement manquer la prochaine rencontre historique, mais être rendus muets par l’obsolescence. Les langues que nous avons parlées sont déjà oubliées. Ce strabisme futurologique rétrécit singulièrement des horizons que seule la continuité historique peut maintenir largement ouverts. Depuis les premiers signes, les danses et les graphiques, les médias de la communication se sont enrichis par la parole, l'écriture, les mathématiques, le théâtre, le cinéma, la radio, la télévision, la télématique, chaque symbolisation rejoignant des talents inégalement répartis et offrant leurs moyens non seulement à des virtuoses, mais à l'homme ordinaire.

C'est dire qu'une pareille diversité d'encodage des connaissances et des messages offre un choix sans précédent. Le graphique psychologique des cavernes d'Altamira et de Lascaux, les hiéroglyphes des pharaons, les messages de la Mer Morte ont été déchiffrés, et nous aident à lire plus immédiatement les arcanes de la peinture moderne et de la musique concrète. La science n'a nullement échappé à cette polyphonie que ses découvertes ont abondamment nourrie.

Et pourtant, les maisons d'enseignement et de recherche n'ont peut-être pas su adapter leurs programmes, leurs structures, leurs démarches et leurs architectures à ces nouveaux moyens qui altèrent si profondément les rapports entre les individus et les institutions. Sur bien des plans, le monde commercial, le monde politique, le monde industriel, le monde artistique et le monde de l'information sont en avance sur la pédagogie et l’éducation, et ce sont eux qui vivent aujourd'hui les expériences qui vont étoffer la science de demain. À condition que le concert des échanges entre ces divers secteurs de la société soit bien orchestré.

Ce qu'il faut sans doute encourager les jeunes à entreprendre, c'est justement la recherche des filiations et des résonances qui donnent du poids aux inventions les plus récentes de la science et de la technologie. Un étudiant qui établit les conclusions de sa thèse avec les seuls repères des publications et découvertes des dix dernières années se prive de l'immense trésor du patrimoine culturel humain. Sa paléophobie le confine à un présent dont on a souvent dit qu'il n'existe pas, et dont il faut tout au moins réaliser les valeurs dans une continuité qui se cherche dans le passé pour mieux se projeter vers l’avenir. II est bon de savoir si on est de la famille de Buffon ou de celle de Cuvier; si on aurait profit à discuter avec Bentham plutôt qu'avec Malthus; à suivre les traces de Claude Bernard plutôt que celles de Pasteur; si on est plus près de Marx que de Burke.

La variété des démarches, quelle que soit la discipline, nous met en présence d'approches exemplaires qui nous instruisent sur nous-mêmes, qui nous guident dans le choix des instruments que notre talent limité nous permet d'utiliser.

Le rêve précède la participation à la réalité, qu'il s'agisse de la découverte scientifique8 ou de la planification du territoire9. Les symboles sont privilégiés dans la langue de nos aspirations : l’oiseau sur la branche s'envole vers l’inconnu et revient chargé de matériaux et de messages; la branche et le tronc qui le nourrissent deviennent plus solides en conservant les réserves des années antérieures.

Si nous nous inspirons réellement des ressources de notre milieu, nous donnerons une allure plus concrète à leur utilisation tout en percevant leur relation à d'autres environnements à l’échelle mondiale. Nous ne pourrions alimenter des processus d'innovation si nous ne savions pas les rattacher à une tradition, personnelle, culturelle, universelle bien appropriée. La science dans nos écoles, dans nos entreprises et dans nos vies, au Québec, commence à peine à montrer un visage reconnaissable. C'est par la convergence de tous ceux qui la vivent que nous lui taillerons la place qui lui est nécessaire pour franchir la présente étape. 


  • Pierre Dansereau
    Présentation de l’auteurQuand Pierre Dansereau (1911-2011) publie ce texte en mai-juin 1984, il est professeur à l’Université du Québec à Montréal. Voici la note que l’on peut lire alors au début du présent article : « Écologiste de réputation internationale, récipiendaire de nombreux prix d’excellence, cité par l’Encyclopaedia Britannica, le professeur Dansereau est considéré comme le père de l’écologie québécoise. Toujours actif malgré l’âge de la retraite ait sonné pour lui depuis quelques années, Pierre Dansereau a accepté récemment de présider la Fondation de l’Acfas».

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