[À lire aussi, l'entrevue réalisée par Le Devoir]
Le prix Acfas Michel-Jurdant 2013, pour les sciences de l’environnement, est remis à Jean Bousquet, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval.
On parle ici d’un lauréat dont les recherches en sciences forestières, depuis 25 ans, ont été citées près de 6000 fois, le plaçant dans la catégorie des chercheurs de haut calibre. Et malgré cela – c’est bien là le plus extraordinaire –, il s’agit d’un scientifique qui, à peine la cinquantaine entamée, n’en est qu’au seuil de ses grandes années de maturité. Ces années où, dans les meilleurs cas, les scientifiques voient émerger les premières applications nées de leurs propres contributions fondamentales : leur façon à eux de changer le monde! Le lauréat n’est donc pas sorti du bois…
Dès sa « première période » de recherche, comme il aime lui-même à le dire, Jean Bousquet s’est rapidement forgé une « signature » d’avant-garde, en positionnant la génétique des arbres dans l’espace et dans le temps. Il fut l’un des premiers au monde à y arriver en appliquant les technologies alors émergentes de la biologie moléculaire et de la phylogénétique, pour mieux déchiffrer leur évolution et leur histoire.
Il commença par dater à l’aide « d’horloges moléculaires » l’émergence des grandes lignées d’arbres et de plantes, puis démontrer que l’apparition des champignons mycorhiziens a coïncidé avec la première émergence des plantes terrestres, il y a 400 millions d’années. Les mycorhizes se présentent dans les sols sous forme d’infinis filaments fongiques. Ils colonisent et prolongent, par symbiose, les racines des plantes et des arbres, agrandissant d’autant leur aire de captation nourricière. Leur apparition a ainsi pu faciliter l’émergence ancienne des plantes hors du milieu aquatique.
Grâce ensuite au projet d’Atlas phylogéographique des conifères nord-américains mené avec de nombreux partenaires aux quatre coins de l’Amérique du Nord, Jean Bousquet réussira à mettre en lumière les effets des glaciations et de la recolonisation postglaciaire sur les populations de conifères, à l’échelle même du continent. Il obtiendra alors une « image » de la diversité génétique telle qu’elle émergea du dernier bouleversement glaciaire, image qui constitue la base même de la structuration géographique de la diversité génétique des conifères que nous rencontrons aujourd’hui. De telles données sont désormais cruciales pour guider la conservation de la biodiversité. Encore tout récemment, ce « docteur ès arbres et forêts » arrivait à démontrer une qualité étonnante de la structure du génome coniférien : sa stabilité exceptionnelle depuis plus de 100 millions d’années, une époque où les dinosaures vivaient encore!
D’aucuns se demanderont sûrement si ces connaissances fondamentales peuvent avoir des applications pratiques… Durant sa seconde période de recherche, dans le cadre des travaux du projet ARBOREA et de la Chaire de recherche du Canada en génomique forestière que le professeur Bousquet a mise sur pied et dirige toujours, des percées pratiques ont été réalisées pour déchiffrer les bases génomiques prédictives de l’adaptation au climat et de la productivité. D’autant que le chercheur a pu établir, à partir des données obtenues de la diversité du génome coniférien, l’existence généralisée de polymorphismes d’ADN justement liés à ces capacités adaptatives. Cette révolution génomique fait école présentement chez les espèces non domestiquées à travers le monde. Face à la rapidité des bouleversements climatiques, les tests diagnostiques qui découlent de ces travaux permettront de préserver l’adaptation et le rendement biologique futur des centaines de millions de semis de conifères reboisés annuellement au Québec et au Canada.
Mais ces promenades d’un forestier dans le temps et dans l’espace seraient bien tristes si Jean Bousquet ne les accomplissait pas également à l’intérieur de son propre « jardin ». Le Réseau de recherche « Ligniculture Québec », qu’il a cofondé il y a un peu plus d’une dizaine d’années, se veut une réponse directe à cette préoccupation. Ses travaux et ceux du Réseau auront contribué à accélérer les efforts visant l’amélioration de la qualité des plants reboisés et l’intensification de l’aménagement forestier québécois. Un chapitre complet à ce sujet apparaît d’ailleurs dans la récente Loi du Québec sur les forêts (2010).
Plus intimement encore, le chercheur se sera assuré d’avoir son mot à dire, d’abord dans sa ville, en démontrant l’existence d’arbres anciens remarquables sur les hauteurs de Québec, et en cofondant l’organisme Québec Arbres qui fait la promotion de la forêt urbaine comme élément clé de la qualité de vie des citadins; ensuite sur les lieux mêmes de son milieu de travail par sa participation aux travaux du Comité d’aménagement du campus de l’Université Laval. N’y cherchez pas qui a été au cœur des efforts récents visant la mise sur pied du Plan directeur du patrimoine naturel de ce campus!
Rédacteur : Luc Dupont