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Christian-Alexandre Castellano - Concours de vulgarisation - 2013
Lauréat

Christian-Alexandre Castellano

UdeS - Université de Sherbrooke

Le cerveau en panne d'énergie

Au cours de la maladie d’Alzheimer, la capacité du cerveau à utiliser l’énergie nécessaire à son fonctionnement diminue. Cette diminution concerne-t-elle uniquement le sucre – glucose – ou bien également d’autres sources d’énergie? Est-il possible de contrer la progression de la maladie en compensant l’énergie qui fait tant défaut au cerveau? C’est à ces questions fondamentales que toute l’équipe de recherche du professeur Stephen Cunnane (Centre de recherche sur le Vieillissement – Université de Sherbrooke), appuyée par les techniques modernes de neuro-imagerie médicale, espère apporter les premiers éléments de réponse.

Les carburants du cerveau

Le glucose est un carburant énergétique essentiel au cerveau. Lorsque son apport diminue, en période de jeûne ou lors d’un exercice intensif, le cerveau a normalement recours à des sources alternatives d’énergie. Parmi celles-ci se distinguent les cétones, des dérivés des graisses, synthétisés par le foie et utilisés préférentiellement par le cerveau. En fait, pour la majorité des mammifères incluant l’homme, les cétones se révèlent une source énergétique primordiale dans le développement cérébral du fœtus et du nouveau-né. Chez l’adulte, le cerveau puise plutôt son énergie dans l’utilisation du glucose.

Plaques amyloïdes et problèmes énergétiques : l’œuf ou la poule?

La maladie d’Alzheimer est une maladie dégénérative du cerveau qui engendre un déclin progressif de la mémoire. Au Canada, on estime à 500 000 le nombre de personnes souffrant de cette maladie ou de troubles apparentés, un chiffre qui pourrait plus que doubler d’ici 2038. La maladie se caractérise par la présence de lésions cérébrales comme les plaques amyloïdes (amas extraneuronaux toxiques), par une réduction du volume de l’hippocampe (région centrale du cerveau jouant un rôle clé pour la mémoire) et par une diminution régionale de l’utilisation du glucose (principal carburant énergétique du cerveau). Les techniques de neuro-imagerie permettent d’observer très tôt ces altérations cérébrales. Mais, malgré un diagnostic de plus en plus précoce, la cause spécifique du développement de la maladie reste toujours un mystère, pour le moment...

Deux hypothèses sur l’origine de la maladie sont privilégiées : la première, plutôt classique, s’apparenterait à l’accumulation anormale des plaques amyloïdes dans le cerveau qui induirait progressivement la mort des neurones; la seconde, émergente et soutenue par plusieurs équipes de recherche dont la nôtre, associerait les problèmes de consommation en énergie du cerveau au développement des symptômes cliniques de la maladie.

Le cerveau en images

L’Imagerie par résonance magnétique (IRM) permet d’évaluer l’anatomie du cerveau. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, cet outil met notamment en évidence les lésions structurelles comme la diminution du volume cérébral, qui  reflète une perte neuronale. Plus récemment, des techniques d’acquisition IRM complémentaires – telles que l’IRM de diffusion et l’IRM fonctionnelle – ont permis de cartographier les faisceaux neuronaux ou encore l’activité cérébrale.

Pour sa part, l’imagerie du cerveau par Tomographie par émission de positrons (TEP) quantifie la consommation énergétique. Elle fait usage de très petites quantités de molécules radioactives dont le 18-Fluoro-déoxyglucose (18F-FDG), une molécule analogue au glucose normalement utilisée par le cerveau. Aussi, avec l’Acétoacétate marqué (11C-AcAc), il est possible de quantifier l’utilisation des cétones par le cerveau. D’autres molécules radioactives offrent, quant à elles, de nombreuses applications de recherche en imagerie TEP, notamment dans le suivi de l’accumulation des plaques amyloïdes, de la neuro-inflammation et des problèmes de neurotransmission, normalement observés dans le cas de la maladie d’Alzheimer.

La maladie sous la loupe

Dans une première étude, notre équipe de recherche a évalué les différences structurelles et fonctionnelles du cerveau observées au cours de la maladie d’Alzheimer. Ces premiers résultats comparatifs portaient sur huit personnes avec un début de maladie et une quinzaine de séniors en bonne santé, sans problèmes de mémoire. Grâce à l’imagerie structurelle IRM, nous avons observé qu’avec la maladie la taille de l’hippocampe diminuait de 20% tandis que l’épaisseur de l’écorce cérébrale se réduisait d’environ 11% dans certaines parties du cerveau comme la zone temporale, une région importante pour le langage, l’audition et la mémoire. Avec l’imagerie fonctionnelle TEP, il a été possible d’observer, chez les personnes atteintes, une réduction de plus de 20% de la consommation de glucose dans les zones latérales (régions temporo-pariétales) et profondes (thalamus et cortex cingulaire) du cerveau, là où se joue une part importante de l’intégration des informations. De la même manière, l’utilisation des cétones par le cerveau malade baissait du tiers, et ceci dans des régions profondes du cerveau (amygdale et noyau caudé) spécifiquement impliquées dans l’attention, le comportement et les émotions.

Aider un cerveau affamé

Les diminutions de l’utilisation cérébrale de deux sources énergétiques majeures, soit le glucose et les cétones, semblent plaider pour un épuisement énergétique chronique du cerveau. Toutefois, les  atteintes observées dans la maladie varient en fonction du carburant considéré : alors que la réduction de l’utilisation du glucose est généralisée, celle des cétones se restreint à des structures profondes du cerveau. Ces premières données laissent donc envisager qu’il serait possible de compenser partiellement, grâce à des apports nutritionnels spécifiques, les problèmes énergétiques et donc les troubles de mémoire associés à la maladie d’Alzheimer. Plusieurs stratégies d’intervention novatrices, comme des suppléments alimentaires, sont d’ailleurs actuellement à l’étude au sein de notre équipe de recherche. Optimiser l’alimentation énergétique du cerveau pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou ayant un risque de développer la maladie : une histoire à suivre!