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Stéphanie Briaud - Concours de vulgarisation - 2011
Lauréate

Stéphanie Briaud

UdeM - Université de Montréal

L’isiacologie : Isis et Osiris chez les Romains

Obélisque érigé à Rome par l'empereur Domitien" src="/sites/default/files/prix-concours/vulgarisation/2011/projet/obelisquepamphilus.jpg">

Dès le début du 20e siècle, des historiens analysent ce nomadisme spirituel. Parmi eux, Franz Cumont et  son ouvrage Les religions orientales dans le paganisme romain (1906), et G. Lafaye pour son Histoire du culte des divinités d'Alexandrie: Sérapis, Isis, Harpocrate et Anubis hors de l'Égypte (1884). Selon ces chercheurs, l’arrivée de ces cultes participe au futur triomphe du christianisme en y amenant la notion « salut », cette idée que l’on peut être sauvé par une divinité. Mais « leurs » divinités demeurent « égyptiennes », terme qui ne distingue pas encore nos voyageuses des divinités de la haute époque pharaonique demeurées en Égypte…

Pourtant, lorsqu’Isis et ses compagnons débarquent en Grèce, avant de se rendre à Rome, leur nature se transforme en se rapprochant de celles du panthéon grec : ils acquièrent de nouveaux pouvoirs, leurs images se diversifient, les fidèles effectuent de nouveaux gestes cultuels. Par exemple, Isis, déesse-mère pharaonique, prendra l’allure d’Aphrodite, déesse grecque de l’amour et des épouses. Les peintres grecs ne la représentent pas de profil dans des gestes figés et coiffée d’une perruque brune et raide; on la pare plutôt d’une tunique ample, sa chevelure ondulée flotte au vent, et on l’accompagne de nouveaux attributs comme la corne d’abondance.

Les premiers isiacologues

Dans les années 1960-70, des historiens se spécialisent dans les études de ces transformations dites interpretatio graeca puis romana. C’est à cette époque qu’apparaît le terme de divinités isiaques. Des outils de recherche sont alors élaborés : catalogue d’inscriptions tel le Sylloge Inscriptionum Religionis Isiacae et Sarapiacae (1969), recensement des trouvailles archéologiques grâce à l’Inventaire bibliographique des isiaca (1960) etc. Mais il faut attendre 1999 pour que soit organisé le premier colloque international sur les études isiaques et que soient définis pour la première fois les cultes isiaques : « est isiaque tout ce qui concerne le culte hors d’Égypte, entre la fin du IVe s. av. J.-C. et la fin du IVe s. ap. J.-C., d’une douzaine de divinités, plus ou moins hellénisées, appartenant à un même cercle mythique, cultuel et liturgique, originaires de la vallée du Nil, à savoir Anubis/Hermanubis, Apis, Boubastis, Harpocrate, Horus, Hydreios, Isis, Neilos, Nephtys, Osiris et Sarapis. »

L’isiacologie est donc une discipline récente, et de nombreuses pistes de recherches sont à approfondir, comme la réaction mitigée des empereurs romains face à l’arrivée d’Apis ou de Sérapis. Sans surprise, les cultes isiaques ont d’abord été perçus comme une secte secrète parce qu’ouverte uniquement aux initiés, et donc dangereuse pour les autorités. Néanmoins, des documents archéologiques comme l’obélisque saluant un empereur témoignent d’une autre attitude impériale à certaines périodes : l’acceptation et l’utilisation de ces divinités isiaques par le pouvoir romain. Caracalla, autre exemple, qui régna de 211 à 217, « transporta à Rome le culte d’Isis, et éleva partout à cette déesse des temples magnifiques », aux dires des historiens antiques.

Faire parler les traces

Au cours du 20e siècle à Rome, l’archéologie met à jour une dizaine de temples dédiés à ces divinités, sans compter les autels populaires. Ce sont d’ailleurs les tendances religieuses du peuple que l’on retrouve sur les inscriptions antiques, et rares sont les inscriptions directement issues des empereurs romains. En effet, de 27 av. J.-C. (date de couronnement d’Auguste, le premier empereur) à 235 ap. J.-C. (mort d’Alexandre Sévère), nous n’en retrouvons que deux à Rome : les hiéroglyphes de l’obélisque Pamphilius construit sur le Quirinal et portant une dédicace de Caracalla, provenant d’un fragment de marbre du serapeum ; temple construit en l’honneur de Sérapis, le compagnon d’Isis depuis l’époque hellénistique. Ce serapeum serait en fait le premier temple isiaque construit à l’intérieur du poemerium romain, la limite sacrée interdite aux cultes considérés comme étrangers. Ainsi, à partir de ce règne, les cultes isiaques seraient officialisés dans la capitale impériale.

Les monnaies impériales témoignent cependant plus fortement des tendances religieuses impériales, voire sénatoriales, puisque des divinités ou des symboles divins y sont figurés.

Mon travail d’historienne

Dans une étude politico-religieuse où l’on cherche à saisir les relations entre les empereurs avec les divinités isiaques, on met en parallèle différents types de sources. Pour chacune d’elles, on évalue les faiblesses et les limites. Les sources littéraires, par exemple, proviennent d’auteurs pouvant avoir des points de vue subjectifs envers les empereurs, les divinités isiaques ou l’Égypte. Aussi, il faut faire la distinction entre « cultuel » et « culturel » : des éléments cultuels de l’époque pharaonique — le sistre d’Isis par exemple, instrument de musique sacrée — ont pu être détournés en Italie, pour devenir des éléments décoratifs participant à une mode « égyptisante ».

Ainsi, de nos jours, découvrir un temple dédié à Isis en France n’est plus aussi étonnant qu’il n’y paraît, et chaque découverte représente aux yeux de la nouvelle génération d’isiacologues l’occasion de recherches mythologiques, iconographiques, cultuelles, et pour le grand public une nouvelle histoire des cultes de l’Égypte, au-delà du Nil.