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Catherine Beaudry, Polytechnique Montréal, Vincent Larivière, Université de Montréal, Laurence Solar-Pelletier, Polytechnique Montréal

2016-10-13 - #MagAcfas - BeaudryCatherine Beaudry, Polytechnique Montréal
Vincent Larivière, Université de Montréal
Laurence Solar-Pelletier, Polytechnique Montréal
Rubrique Recherches
13 octobre 2016

Dix ans après les propos très décriés de Lawrence Summers, alors président de Harvard, suggérant que la sous-représentation des femmes en sciences et technologies s’expliquerait par un manque d’aptitudes, force est de constater que leur situation demeure difficile. Elles sont, par exemple, à la traîne de leurs collègues masculins en termes de taux de citation et de production scientifique1. Néanmoins, une étude menée au Québec dans le domaine des sciences naturelles et du génie (SNE) démontre que si l'on traite différemment certaines variables, on voit que les femmes produisent autant que les hommes et sont citées autant qu'eux.

Alors, les femmes scientifiques sont-elles moins compétentes que leurs confrères? Certainement pas. Victimes parfois d’une forme de discrimination? Il semblerait que oui.

Un écart de productivité récurrent

L’écart de productivité scientifique entre les femmes et les hommes en milieu universitaire a été étudié en profondeur2. Règle générale, les femmes publient moins que leurs confrères, peu importe le pays ou la discipline. Divers facteurs ont été relevés pour expliquer cette différence, tels que la maternité, le rang professoral ou une plus grande multidisciplinarité.

De façon analogue, bon nombre de travaux rendent compte de l’impact scientifique (mesuré en termes de citations reçues) des publications des hommes et des femmes. Puisque les chercheurs et chercheuses suivent le même processus rigoureux menant à la publication dans des revues de pairs, on s’attendrait à un taux de citation similaire. Or, beaucoup de ces travaux montrent une différence en matière de citations reçues, et ce, au détriment des femmes.

Ces deux constats se basent sur l’étude bibliométrique publiée récemment dans Research Policy :« Which gender gap? Factors affecting researchers’ scientific impact in science and medicine? »3 [Accès gratuit à l’article complet jusqu’au 23 octobre 2016]. Cette recherche a été menée au Québec dans le domaine des sciences naturelles et du génie (SNE). Son but était d’identifier les sources de ces différences en termes d’impact scientifique, en contrôlant ou normalisant quatre variables : nombre d’articles et rang d’auteur, financement de la recherche, facteur d’impact des revues et nombre d’auteurs. Il a été possible ainsi d’établir un portrait plus nuancé de la performance des femmes. Les données sur les publications ont été collectées auprès du Thomson Reuters Web of Science (WoS) et celles sur le financement proviennent de Système d’information sur la recherche universitaire (SIRU).

Des scientifiques compétentes… mais moins citées

À première vue, et sans surprise, on observe que les hommes ont une meilleure performance scientifique que leurs consœurs. Plus spécifiquement, ils publient davantage d’articles, contribuent à des articles plus cités, sont plus souvent derniers auteurs – marqueur de direction d’équipes de recherche – et obtiennent davantage de financement public et privé. Sur ce point, les données collectées auprès des organismes subventionnaires, FRQNT et CRSNG, démontrent un très léger biais négatif lorsque les demandes sont soumises par des femmes. Dans l’ensemble, elles ont 15 000 $ de moins en subventions publiques, et, en financement privé, un montant équivalant à la moitié des sommes perçus par les hommes.

Il s’avère que cette question du financement est cruciale. De fait, notre analyse montre que l’écart de productivité observé s’explique essentiellement par une différence en cette matière. À financement égal, les femmes sont autant productives, elles publient dans des revues à facteur d’impact similaire et elles sont plus souvent premières auteures des articles auxquels elles contribuent; elles sont donc les principales responsables, mais moins susceptibles d’être à la tête d’équipes de recherche.

À financement égal, les femmes sont autant productives, elles publient dans des revues à facteur d’impact similaire et elles sont plus souvent premières auteures des articles auxquels elles contribuent.

Par ailleurs, les analyses statistiques montrent que la différence entre les hommes et les femmes n’est pas significative lorsque les facteurs explicatifs des deux genres ont les mêmes valeurs. C’est donc dire que sur le plan des citations, une fois les facteurs contrôlés, les femmes en SNE n’ont rien à envier à leurs confrères. Il est toutefois important de prendre le temps de bien explorer les variables retenues pour comprendre les différentes forces en jeu.

En termes de production scientifique, les femmes performent mieux sur certains plans. Ainsi, à un niveau de financement philanthropique (catégorie de financement qui exclut les subventions publiques et les contrats industriels) similaire, les femmes en SNE sont plus productives que les hommes. Il en va de même pour la taille des équipes de co-auteurs : lorsque les femmes collaborent avec un nombre de co-auteurs égal à celui des hommes, elles contribuent à davantage d’articles qu'eux. Aussi, à des niveaux de financement similaires, il ne semble pas que les femmes soient moins citées que les hommes.

De la sorte, les femmes en SNE, avec un nombre similaire de publications, sont citées à égalité avec les hommes, et ce, peu importe leur rang d’auteure. Elles bénéficient aussi des mêmes taux de citation que leurs collègues lorsqu’elles publient dans des revues au même facteur d’impact (évalué sur cinq ans), ce qui suggère qu’elles profitent tout autant de la visibilité offerte par des revues réputées.

Toutefois, et c’est ce qui inquiète, plus la liste d’auteurs est dominée par des femmes, moins l’article sera cité, pour des revues à facteur d’impact équivalent. Par exemple, pour un facteur d’impact moyen de 7,5, le nombre de citations relatives est réduit de 2 en comparaison à celui des hommes, tel qu’illustré dans la figure 1. Un tel résultat suggère une forme de discrimination.

#MagAcfas - 2016-10-13 - Beaudry
Figure 1 – Valeurs prévues du nombre contrôlé ou normalisé de citations, selon le facteur d’impact moyen des revues en fonction de la proportion de femmes coauteures. On y voit bien la différence entre les publications ne comptant que des hommes et celles ne comptant que des femmes.

Un autre facteur discriminant entre les genres est la longueur de la liste des auteurs. Alors qu’il devrait y avoir une plus forte visibilité – et donc davantage de citations – liée à un plus grand nombre de coauteurs, cela n’est pas le cas pour les femmes. Elles semblent moins profiter du réseautage qui vient avec une longue liste d’auteurs. L’impact d’un article coécrit par les femmes est de 5 % inférieur en termes de taux de citation à celui des hommes. La différence n’est peut-être pas énorme, mais elle est présente et difficile à expliquer.

La qualité avant la quantité

En somme, les résultats sont pour la plupart encourageants. Considérant que les femmes publient moins que leurs confrères, mais ciblent des revues à fort facteur d’impact, il appert qu’elles misent sur la qualité plutôt que la quantité. Aussi, à un niveau de financement similaire, elles sont autant productives, parfois plus, que les hommes. Autrement dit, les femmes scientifiques sont tout aussi compétentes qu'eux.

En gardant cette note positive en tête, il ne faut pas oublier le résultat inquiétant qui illustre le biais négatif envers les femmes en matière de citation. Plus il y a de femmes coauteures d’un article, moins il sera cité. Comment expliquer ce phénomène? Est-ce une forme de discrimination pure et simple? Est-ce lié à leurs travaux de recherche plus multidisciplinaires et moins spécialisés – facteurs pouvant être associés à un taux de citation plus bas?4 Ou à une position moins avantageuse dans les réseaux de chercheurs?5 Bien des questions sont soulevées par ce constat et davantage de recherches sont nécessaires pour comprendre les facteurs qui les expliquent.

Bref, il y a encore du travail à faire pour atteindre une égalité en recherche. Il faut continuer à inciter les femmes à poursuivre des carrières scientifiques afin d’avoir une représentation plus équitable des genres, ce qui pourrait venir atténuer les effets de genre. Dans tous les cas, le Québec peut compter sur des femmes scientifiques qui ne sont pas à la remorque de leurs confrères en ce qui a trait aux aptitudes et aux compétences!

Références :

  • XIE, Y., et K. A. SHAUMAN (1998). « Sex differences in research productivity: New evidence about an old puzzle », American Sociological Review, 63(6), p. 847-870.
  • NAKHAIE, M. R. (2002). « Gender Differences in Publication among University Professors in Canada », Canadian Review of Sociology/Revue canadienne de sociologie, 39(2), p. 151-179.
  • MALINIAK, D., R. POWERS et B. F. WALTER (2013). « The gender citation gap in international relations », International Organization, 67(04), p. 889-922.
  • 1LARIVIÈRE, V., C. Q. NI, Y. GINGRAS, B. CRONIN et C. R. SUGIMOTO (2013). « Global gender disparities in science », Nature, 504 (7479), p. 211-213. Voir aussi : www.acfas.ca/index.php/publications/decouvrir/2014/03/femmes-sciences-p…
  • 2Voir notamment : LONG, J. S. (1990). « The origins of sex differences in science », Social Forces, 68(4), p. 1297-1316.
  • 3Pour avoir des résultats plus détaillés : BEAUDRY, C., et V. LARIVIÈRE (2016). « Which gender gap? Factors affecting researchers’ scientific impact in science and medecine », Research Policy. (www.sciencedirect.com/science/article/pii/S004873331630083X). Accès gratuit à l’article complet jusqu’au 23 octobre 2016 : http://authors.elsevier.com/a/1TfNb_16wfCs03
  • 4LEAHEY, E. (2006). « Gender differences in productivity research specialization as a missing link », Gender & Society, 20(6), p. 754-780.
  • 5BEAUDRY, C., et S. ALLAOUI (2012). « Impact of public and private research funding on scientific production: The case of nanotechnology », Research Policy, 41(9), p. 1589-1606.

  • Catherine Beaudry
    Polytechnique Montréal

    Catherine Beaudry détient un doctorat en économie de l’Université d’Oxford. Elle est professeure titulaire au Département de mathématiques et de génie industriel, et titulaire d’une chaire de recherche du Canada sur la création, le développement et la commercialisation à Polytechnique Montréal. De ses études en génie électrique spécialisées en technologie spatiale, elle a gardé un profond intérêt pour la technologie, la science et l’innovation.

  • Vincent Larivière
    Université de Montréal

    Vincent Larivière est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, professeur adjoint à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, membre régulier du CIRST et directeur scientifique adjoint de l’Observatoire des sciences et des technologies. Ses recherches portent sur les caractéristiques des systèmes de la recherche québécois, canadien et mondial, ainsi que sur la transformation, dans le monde numérique, des modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en science, technologie et société (UQAM), d’une maîtrise en histoire (UQAM) et d’un Ph.D. en sciences de l’information (Université McGill).

  • Laurence Solar-Pelletier
    Polytechnique Montréal

    Laurence Solar-Pelletier est coordonnatrice de la Chaire de recherche du Canada en création, développement et commercialisation de l’innovation. Après son baccalauréat en génie industriel, elle a poursuivi ses études en gestion à HEC Montréal, où elle a obtenu son doctorat en administration. Elle s’intéresse particulièrement aux enjeux de main-d’œuvre, à l’innovation et aux secteurs économiques liés aux technologies.

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