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Sylvestre Huet, Journaliste scientifique indépendant
Frère Marie-Victorin, botaniste et président de l'Acfas en 1937, [...] proclament qu'un peuple sans élite scientifique "est, dans le monde présent, condamné, quelles que soit les barrières qu'il élèvera autour de ses frontières"

84e Congrès de l'Acfas - 2016

« La science francophone ne procède pas de la même façon que la science anglo-saxonne ». Propos de grincheux, universitaire de province, mal à l'aise en anglais et donc sous-noté par ses pairs faute de publications dans les revues internationales? Nenni. Extrait d'une interview de Robert Proulx recteur de l'UQAM, l'Université du Québec à Montréal, par mes collègues du Devoir publiée à l'occasion de l'ouverture du 84e Congrès de l'Acfas.

Frère botaniste

Le propos du recteur s'éclaire à la lumière du nom d'origine de l'Acfas. Lors de sa création, en 1923, par une poignée de scientifiques, le sigle signifie « Association canadienne-française pour l'avancement des sciences ». Et puise sa raison d'être dans une conviction, pour faire advenir « un pays»  au Québec, sa population francophone doit maîtriser sciences et techniques. Le premier président de l'Acfas, le docteur Léo Pariseau, le disait ainsi en 1924 : « Seule la maîtrise des sciences peut apporter à un groupe ethnique l'indépendance économique et la fierté qui en découle » (1). Frère Marie-Victorin, botaniste et président de l'Acfas en 1937, enfonce le clou lors du congrès annuel, proclamant qu'un peuple sans élite scientifique « est, dans le monde présent, condamné, quelles que soit les barrières qu'il élèvera autour de ses frontières »  (1). Une leçon toujours valable aujourd'hui, et sous toutes les latitudes. Quant au rôle de l'Acfas, il reste majeur dans le paysage politique, universitaire et scientifique québécois. Même si elle a changé de nom en 2001 - Association francophone pour le savoir - afin de souligner le rôle des sciences humaines et sociales tout en laissant tomber le « vieillot canadien-français », explique l'historien et sociologue des sciences Yves Gingras. Elle demeure un outil puissant de dialogue pour la communauté universitaire et de recherche dans ses relations avec la société et les responsables politiques. Alors que le gouvernement provincial est peu outillé pour concevoir une politique scientifique, c'est vers l'Acfas qu'il se tourne pour en établir les priorités, comme lors de l'élaboration de la politique nationale de recherche et d'innovation en 2012.

Les fondateurs de l'Acfas ne seraient toutefois pas surpris de voir leurs successeurs s'interroger sur le bien-fondé de grands projets industriels et d'exploitation des ressources naturelles, dans le cadre de plusieurs des colloques du 84e Congrès. Faut-il explorer puis exploiter les hydrocarbures du golfe du Saint-Laurent? L'exploitation des forêts boréales est-elle durable (elle fait face à une nouvelle épidémie de « tordeuses des épinettes »)? Comment comprendre les mouvements sociaux d'opposition à ces grands projets autrement que par le concept « d'acceptabilité sociale » qui hérisse les sociologues convoqués par les politiciens pour faire passer les projets ? Ne voir dans ces problématiques que nouveauté absolue ne résiste pas au regard de l'historien. Ainsi, Marie-Victorin critique t-il, en 1937, la colonisation agricole au nord de Montréal, car elle ne prend pas en compte l'acidité des sols, ou s'élève contre des déboisements « aveugles » au nord de Trois-Rivières.

Expertise et citoyens

Il est donc logique que l'un des colloques du Congrès porte sur l'expertise scientifique au service de la décision politique et des débats citoyens. Une question chère à Frédéric Bouchard, philosophe et actuel Président de l'Acfas. Le sujet peut d'ailleurs constituer un fil conducteur de toute l'histoire de la philosophie, explique-t-il, puisqu'elle recherche, depuis Socrate, « qui a raison et pourquoi? ». En termes plus « savants »: « qui détient l'autorité épistémique? Et en termes de questionnement citoyen : à qui puis-je faire confiance »? Bouchard précise d'emblée que l'expert n'est pas nécessairement celui qui a raison - il peut se trouver que la réponse à une question soit inconnue - mais celui qu'il est plus raisonnable d'écouter dans son domaine d'expertise plutôt que... n'importe qui. Alors que les sociétés font de plus en plus appel à des systèmes d'expertises collectives, organisées par des Agences publiques, le philosophe insiste sur l'individu. Non pour nier la nécessité du caractère collectif des expertises, mais pour souligner celle de la diversité des experts réunis. Une diversité indispensable, a priori, afin de combattre les effets du fameux « biais de confirmation » cher aux psychologues (nous privilégions parmi les informations disponibles celles qui confirment une opinion préétablie). 

Cette diversité, souligne-t-il, « est un gage du caractère raisonnable de l'avis collectif et donc de la confiance qu'il peut susciter ». Il ne faut donc pas attendre qu'un collectif d'experts dysfonctionne pour introduire cette diversité, alors que ce sera l'attitude des responsables politiques. « Multiplions les sages et les collectifs de sages », insiste-t-il. Dans une perspective très large puisqu'elle inclut la diffusion de la culture scientifique, et donc des méthodes utilisées par les chercheurs et experts, au plus grand nombre possible. Nous vivons dans une société du savoir, conclut-il, mais pour en bénéficier réellement, il faut que « la capacité à manipuler le savoir, les connaissances, ne soit pas réservée à une mince couche de la population mais répandue au maximum. Avoir un rapport sain à l'expertise suppose de comprendre les démarches et méthodes des experts ».

Note :

  • 1. Tiré de Pour l'avancement des sciences, histoire de l'Acfas, 1923-1993, Yves Gingras, éditions Boréal .

  • Sylvestre Huet
    Journaliste scientifique indépendant
    Présentation de l’auteur :Sylvestre Huet est journaliste depuis 1983, et il est spécialisé dans les sujets scientifiques et techniques depuis 1986. Il a travaillé successivement pour l’hebdomadaire Révolution, les mensuels Sciences et Avenir et Science & Vie. Puis, de 1995 à 2016, on le retrouve au quotidien Libération, pour lequel il a également tenu le blog {Sciences²} depuis 2008. Aujourd’hui, journaliste indépendant, il tient toujours son blog {Sciences²}, mais pour le site du Monde.fr. Il est également l’auteur de plusieurs livres, dont L’imposteur c’est lui, réponse à Claude Allègre (Stock, 2010) et Les dessous de la cacophonie climatique (La ville brûle, 2015) ainsi que directeur de collection chez l’éditeur La ville brûle.

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