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Isabelle Pagé, Université du Québec à Trois-Rivières
Plus de 60 % de la population occidentale rapporte, chaque année, vivre au moins un épisode de douleur associée au rachis, ou colonne vertébrale.

Isabelle Pagé, Université du Québec à Trois-Rivières
Rubrique : Recherche
13 mars 2016

Avez-vous souffert d’une douleur au dos ou au cou au cours de la dernière année? Oui? Alors bienvenue au club! De fait, plus de 60 % de la population occidental rapporte, chaque année, vivre au moins un épisode de douleur associée au rachis, ou colonne vertébrale1.  Rassurez-vous, cependant, car de nombreux traitements sont désormais offerts, dont la thérapie par manipulation vertébrale, également connu sous le nom d’ajustement vertébral ou de manipulation articulaire. L’efficacité de cette thérapie est bien documentée. Ce qui l’est moins, c’est le comment-ça-marche. Mes études doctorales se concentrent justement sur cette dorsale.

D’Hippocrate à nos jours

Les recherches concernant la manipulation vertébrale sont relativement jeunes. Cependant, la manipulation comme outil thérapeutique remonterait à plus de 4000 ans, et les premiers écrits sur le sujet proviendraient d’Hippocrate, le père de la médecine (460-355 av. J.-C.). Il a pourtant fallu attendre la fin du 19e siècle pour que la manipulation vertébrale soit encadrée par des règles formelles, avec la naissance de l’ostéopathie et de la chiropratique aux États-Unis. Aujourd’hui, au Québec, les professionnels de la santé pouvant procéder à des manipulations vertébrales et articulaires sont les chiropraticiens, les médecins (en accord avec leur code de déontologie) et les physiothérapeutes détenant une attestation de formation délivrée par leur ordre professionnel.  dos

Un robot au service de la recherche

Le nombre d’études évaluant les mécanismes sous-jacents aux effets de la manipulation vertébrale s'est grandement accru dans les dernières années. Néanmoins, peu de recherches sont effectuées dans un cadre expérimental standardisé, où l’on contrôle à peu près tout. C’est dans cette optique que des membres du Groupe de recherche sur les affections neuromusculosquelettiques (GRAN) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) ont développé, en 2012, un appareil robotisé (photographie de droite) simulant une manipulation vertébrale2.  La robotisation de cet acte thérapeutique possède un avantage indéniable : là où le contact du clinicien glisse de 2 cm en moyenne lors de l’exécution, l’appareil assure une parfaite stabilité de positionnement. Autre avantage non négligeable, il accroît le contrôle du dosage des paramètres biomécaniques propres à cette thérapie.

À l’instar du golfeur professionnel qui modifie sa vitesse, sa position ou son angle de frappe selon les conditions dans lesquelles il joue, le clinicien peut moduler l’exécution d’une manipulation vertébrale en fonction du contexte. La vertèbre ou la région à manipuler sont  déterminées au préalable, lors d’un examen, mais le geste même peut être subdivisé en variables à doser. Les paramètres contrôlables sont, entre autres, la force de mise en tension des tissus avant la manipulation, la vitesse d’exécution ou la force appliquée.

Le dosage des paramètres a-t-il des effets sur les réponses neuromécaniques telles que la réponse musculaire et le déplacement vertébral? Plusieurs études effectuées chez des animaux le suggèrent, mais nous avons voulu vérifier si c’était également le cas de façon systématique chez l’humain.

Entreprendre… et apprendre

Ma thèse doctorale prend son assise sur les résultats d’une première série d’études chez des participants « sans douleur ». Celles-ci ont révélé une relation entre les réponses neuromécaniques (réponse musculaire et déplacement des vertèbres) et la dose des paramètres biomécaniques de la manipulation vertébrale (force de mise en tension, vitesse d’application et force appliquée)3-5. Ainsi, lors d’une manipulation vertébrale, si la force appliquée est développée sur une petite période de temps (rapport force [N] / temps [s] élevé), cela générera une réponse musculaire plus importante que si elle est développée sur une grande période de temps. D’un autre côté, plus la force appliquée est élevée, plus le déplacement vertébral sera grand.

Cette relation dose-réponse joue-t-elle un rôle dans les effets cliniques observés? C’est à cette question que je tenterai de répondre au cours des prochaines années, en incluant cette fois des participants atteints de douleurs au dos. Je veux tout d’abord évaluer si les réponses neuromécaniques ont un lien avec le changement de la rigidité vertébrale à la suite d’une manipulation vertébrale.

La rigidité vertébrale, une mesure prometteuse

La rigidité vertébrale renvoie à la qualité du mouvement associée à une pression sur une vertèbre. Plus la rigidité est élevée, plus la résistance à la force appliquée est importante, et plus le mouvement généré est moindre.  Récemment, des études ont montré une augmentation de la rigidité vertébrale chez les personnes rapportant des douleurs au dos6. De leur côté, des chercheurs de l’Université de l’Alberta ont montré un retour à la normale de la rigidité vertébrale chez les patients rapportant une diminution de leurs symptômes après une manipulation vertébrale7. J’ai prévu un court séjour dans ce laboratoire dans les prochains mois afin de me familiariser avec le protocole d’évaluation de la rigidité vertébrale qu’utilisent ces chercheurs.

Des études ont montré une augmentation de la rigidité vertébrale chez les personnes rapportant des douleurs au dos.

La modulation de la rigidité vertébrale à la suite d’une manipulation vertébrale est-elle associée à l’importance de la réponse musculaire? Au déplacement vertébral? La diminution des symptômes sera-t-elle plus importante si la manipulation vertébrale est exécutée sur la vertèbre présentant la plus grande rigidité? Ces questions ne peuvent être explorées qu’en effectuant des études dans un contexte expérimental où la quasi-totalité des paramètres sont contrôlés! Une affaire à suivre, donc...

Âme sensible s’abstenir

L’inclusion de la rigidité vertébrale dans ma thèse doctorale amène un défi supplémentaire. En effet, la manipulation vertébrale s’effectue sur les processus transverses d’une vertèbre, alors que la rigidité vertébrale s’évalue d’une toute autre façon, au niveau du processus épineux.

 

Une question s’est alors posée : devrais-je plutôt utiliser l’imagerie par ultrasons (échographie) pour identifier les processus épineux et les processus transverses correspondants? C’est ainsi qu’un projet en collaboration avec le laboratoire d’anatomie de l’UQTR s’est mis en place en janvier dernier. Ce projet, mettant en cause un total de six corps embaumés selon une technique préservant la mobilité articulaire, a conduit à une méthode de palpation permettant d’identifier les processus transverses aussi précisément que par l’utilisation de l’imagerie par ultrasons.

Cette étude in vivo a d’importantes répercussions sur mes études doctorales, puisque la méthode développée sera utilisée de façon systématique chez tous les participants afin de nous assurer de la spécificité de nos mesures. Sans ce projet, qui, disons-le, m’a sortie de ma zone de confort (!), des erreurs de positionnement de l’appareil robotisé auraient pu à la limite compromettre la validité de nos résultats. Au moment d’écrire ces lignes, mon protocole expérimental est bien établi : nous sommes enfin prêts à recruter des participants pour ma première étude!

Références :

  • 1. Linton SJ, Hellsing AL, Hallden K. A population-based study of spinal pain among 35-45-year-old individuals. Prevalence, sick leave, and health care use. Spine (Phila Pa 1976). 1998;23(13):1457-63. PubMed PMID: 9670397.
  • 2. Descarreaux M, Nougarou F, Dugas C. Standardization of spinal manipulation therapy in humans: development of a novel device designed to measure dose-response. J Manipulative Physiol Ther. 2013;36(2):78-83. doi: 10.1016/j.jmpt.2012.12.007. PubMed PMID: 23499142.
  • 3. Nougarou F, Dugas C, Deslauriers C, Page I, Descarreaux M. Physiological responses to spinal manipulation therapy: investigation of the relationship between electromyographic responses and peak force. J Manipulative Physiol Ther. 2013;36(9):557-63. doi: 10.1016/j.jmpt.2013.08.006. PubMed PMID: 24161387.
  • 4. Nougarou F, Dugas C, Loranger M, Page I, Descarreaux M. The role of preload forces in spinal manipulation: experimental investigation of kinematic and electromyographic responses in healthy adults. J Manipulative Physiol Ther. 2014;37(5):287-93. doi: 10.1016/j.jmpt.2014.04.002. PubMed PMID: 24928637.
  • 5. Page I, Nougarou F, Dugas C, Descarreaux M. The effect of spinal manipulation impulse duration on spine neuromechanical responses. J Can Chiropr Assoc. 2014;58(2):141-8. PubMed PMID: 24932018; PubMed Central PMCID: PMC4025084.
  • 6. Snodgrass SJ, Haskins R, Rivett DA. A structured review of spinal stiffness as a kinesiological outcome of manipulation: its measurement and utility in diagnosis, prognosis and treatment decision-making. J Electromyogr Kinesiol. 2012;22(5):708-23. doi: 10.1016/j.jelekin.2012.04.015. PubMed PMID: 22683056.
  • 7. Wong AY, Parent EC, Dhillon SS, Prasad N, Kawchuk GN. Do Participants With Low Back Pain Who Respond to Spinal Manipulative Therapy Differ Biomechanically From Nonresponders, Untreated Controls or Asymptomatic Controls? Spine (Phila Pa 1976). 2015;40(17):1329-37. doi: 10.1097/BRS.0000000000000981. PubMed PMID: 26020851.

  • Isabelle Pagé
    Université du Québec à Trois-Rivières

    Isabelle Pagé est étudiante au doctorat en sciences biomédicales à l’Université du Québec à Trois-Rivières (programme en extension de l’Université de Montréal) sous la supervision du Dr Martin Descarreaux DC, PhD. Elle a effectué un doctorat de premier cycle en chiropratique à cette même université où elle a obtenu son diplôme en 2011, et elle y pratique à temps partiel depuis. Dre Pagé a un attrait particulier pour l’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes de douleurs au dos. Son mémoire de maîtrise portait sur l’évaluation des facteurs prédictifs de l’évolution des patients tandis que, pour sa thèse doctorale, elle s’est tournée vers l’investigation des réponses à la manipulation vertébrale chez cette population. Pour ses études doctorales, Dre Pagé a obtenu une bourse des Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC) avec supplément des Fonds de Recherche du Québec – Santé (FRQS).

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